Les professionnels du marché de l’ivoire mobilisés contre l’arrêté ministériel interdisant son commerce n’approuvent pas l’arrêté modificatif en consultation publique jusqu’au 22 janvier.
FRANCE - Le 16 août dernier, le ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, ainsi que le ministre de l’Agriculture signaient un arrêté interdisant le commerce de l’ivoire d’éléphants et de la corne de rhinocéros en France. Depuis, tout objet ancien en ivoire ne peut plus être cédé en France, alors qu’auparavant il suffisait qu’il soit accompagné d’un rapport d’expertise. Seuls le commerce et la restauration « d’objets travaillés » (bijoux, statuettes…) dont l’ancienneté antérieure à 1975 (date d’entrée en vigueur de la Convention de Washington, dite CITES, Convention sur le commerce international des espèces de faunes et de flore sauvages menacées d’extinction) est établie, peuvent bénéficier de dérogations. Or, non seulement la liste de ces objets n’est pas exhaustive, mais de surcroît, cette dérogation doit faire l’objet d’une demande auprès de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).
Une coercition jugée inutile
« Comment les services concernés vont-ils faire face à l’afflux des demandes ? », s’inquiète Jean-Michel Renard, marchand spécialisé en instruments de musique, vice-président de la CNES (Chambre nationale des experts spécialisés en objets d’art et de collection). « Quand nous avons voulu jouer le jeu et que nous avons fait nos demandes auprès des DREAL, elles n’étaient même pas au courant de l’arrêté. Nous étions dans le flou total », rapporte Michael Combrexelle, expert en espèces protégées. « Depuis cet été, l’ensemble du marché concerné est stoppé net en France », lance Éric Delalande, secrétaire général de la CNE (Compagnie nationale des experts), marchand de curiosités scientifiques et objets de marine. « Un marché parallèle a été mis en place. Les objets concernés sont vendus en masse dans les pays limitrophes, créant un manque de rentrées fiscales dans les caisses de l’État, sans parler de la hausse des ventes sur Internet, dénuées de toute transparence », explique Michael Combrexelle. « Cet arrêté est intervenu alors même qu’un rapport datant de novembre 2015 a conclu à l’absence d’utilité de mesures supplémentaires de restriction du commerce de l’ivoire en France dans l’amélioration de la lutte contre le braconnage », a souligné Jean-Michel Renard. Aussi, la plupart des organes représentatifs du marché de l’art se sont mobilisés : SYMEV, CNE, SNA, CNES, SFEP… et ont déposé le 11 octobre un recours contre l’arrêté d’août auprès du secrétariat du contentieux du Conseil d’État.
Depuis, un projet de modification a été élaboré et a fait l’objet d’une consultation publique du 22 décembre au 22 janvier. Il a recueilli plus de deux cents commentaires. En plus des professionnels du marché de l’art, ce sont aussi les restaurateurs, ivoiriers, facteurs de pianos, musiciens… qui sont touchés. En matière d’œuvres d’art, ce projet de texte soumet à une procédure déclarative le commerce des objets fabriqués avant le 2 mars 1947 (tout le monde ignore pourquoi cette date), lorsque la proportion d’ivoire ou de corne dans l’objet est supérieure à 20 % en volume. « Ce projet de texte est une entrave absolue au commerce. L’idée d’établir des seuils est absurde. Pourquoi 20 % ? Et comment déterminer ce pourcentage sur un objet ? », s’offusque Anthony Meyer, marchand d’art océanien et membre du conseil d’administration du Syndicat national des antiquaires. Enfin, les conditions de mise en œuvre de la procédure déclarative restent obscures, puisque le décret qui les définira n’est pas publié.
« Interdire le commerce d’ivoire travaillé avant 1947 n’empêchera pas le massacre actuel des éléphants, s’indigne un connaisseur du marché, avant de poursuivre, la vraie solution pour lutter contre le braconnage serait de mettre les éléphants en sûreté ». Un professionnel qui souhaite rester anonyme évoque un autre problème : « Les stocks de défenses braconnées sont brûlés, or, cela fait flamber le prix de l’ivoire sur le marché noir. C’est un cercle vicieux ! »
Quoi qu’il en soit, les professionnels sollicitent l’abandon pur et simple de ces mesures restrictives : « Nous allons continuer de nous battre pour faire supprimer ce projet de texte et revenir à la situation d’avant », indique Anthony Meyer. « Nous essayons de convaincre nos interlocuteurs. Je pense qu’au bout du compte, le bon sens l’emportera mais pour l’heure, le ministère est en porte-à-faux, notamment avec les ONG », explique Jean-Pierre Osenat, président du Syndicat national des maisons de ventes volontaires (SYMEV). Il ne reste plus qu’à attendre la décision des ministères.
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Ivoire, un arrêté qui fait grincer des dents
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Abonnez-vous dès 1 €Cylindre en ivoire sculpté, Allemagne, XVIIe siècle, 10,6 x 12,7 cm, vendu le 7 novembre 2012, Christie's, Paris. Ce type d'objet ne peut plus être vendu en France, sauf dérogation, depuis l'arêté du 16 août 2016 © photo Christie's Images
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Ivoire, un arrêté qui fait grincer des dents