Moyen de stimuler la perception selon l’artiste, la couleur est mise en forme et en mouvement jusque dans ses plus récentes œuvres présentées à la galerie Denise René.
PARIS - L’exposition de Carlos Cruz-Diez à la galerie Denise René-Espace Marais rappelle cette savoureuse formule : il fait 40° à l’ombre, mais il n’y a pas d’ombre. Sont en effet présentées trois toiles, spécialement réalisées pour l’occasion, de la série « Induction du Jaune ». Mais il n’y a pas de jaune. Pourtant, on le voit, et clairement. Il est tout simplement le résultat d’un effet visuel qui fait se côtoyer des bandes bleues et blanches sur les bords du tableau et des bandes noires au centre. La conjugaison des trois couleurs engendre alors ces tonalités jaunes. Ces toiles renvoient à deux autres « Induction chromatique », datées elles de 1970. Il en est de même pour une autre œuvre de 2016, Induction du Rose No 206. Et là encore, pas de rose ; mais du jaune, du bleu, du noir qui de façon troublante font naître la tonalité indiquée. Elle aussi réfère à un immense panneau (480 x 200 cm), sorte de paravent concave, de 1975. Exposé une première fois cette année-là à la galerie de Denise René, sise alors rue La Boétie (Paris-8e), ce panneau n’a que très peu été montré depuis.
Cruz-Diez, né en 1923 à Caracas au Venezuela et installé à Paris depuis 1960, est resté fidèle toute sa vie aux principes qu’il a mis en place dès le début de sa carrière au milieu des années 1950 – et plus précisément depuis ses premières Couleur Additive et Physichromie exécutées en 1959. Il a aussi conservé un esprit de recherche. Preuve en sont ses toutes dernières pièces, réalisées à l’aérographe, après avoir utilisé la peinture sur carton, la sérigraphie puis l’impression numérique. Autrement dit, toutes les approches possibles du moment qu’elles servent le propos, puisque ce qui a toujours intéressé Cruz-Diez, ce n’est pas la technique mais la couleur. Une phrase le rappelle à l’entrée : « La couleur s’est révélée à moi comme un moyen puissant de stimuler la perception de la réalité. » « Je voulais la couleur pour elle-même », a-t-il souvent précisé. C’est la raison pour laquelle Cruz-Diez a toujours animé la couleur, l’a toujours mise en mouvement et révélée dans l’espace. Avec lui, la couleur prend forme, elle prend corps. Et pour montrer son instabilité permanente, son aspect éphémère, il a mis du mouvement, soit dans les toiles elles-mêmes comme dans les « Inductions », soit au travers des changements chromatiques liés au passage du spectateur devant l’œuvre.
Réalisée en relief, celle-ci se compose alors de fonds colorés surmontés de lamelles collées perpendiculairement qui, tantôt transparentes, tantôt teintées, tantôt miroirs, modifient la perception de la couleur en fonction de notre déplacement. Une belle expérience en est donnée avec Physichromie 1805, qui, vue du côté droit, affiche nettement un bleu et un vert, tandis qu’elle diffuse un rouge et un bleu du côté gauche.
Des œuvres irréprochables
D’autres œuvres bidimensionnelles sont également présentées à la galerie Denise René-Rive Gauche. Il s’agit certes de pièces originales mais leur prix va de 30 000 à 104 000 euros selon leur nombre d’exemplaires tirés, entre 3 et 8. Un montant nettement moindre que celui des pièces uniques, qui oscille entre 140 000 et 480 000 euros. La cote est élevée, et a été multipliée par dix en dix ans. À cela, Denis Kilian, neveu de Denise René, aujourd’hui directeur de la galerie, voit trois raisons. En premier lieu l’âge de l’artiste, 93 ans, et une longue carrière. Ensuite sa rigueur : « Cruz-Diez n’a jamais laissé sortir de son atelier des œuvres imparfaites, avec le moindre petit défaut, même invisible, mais susceptible de perturber l’effet visuel. Il a un œil incroyable et ne laisse rien passer. » Il faut enfin rappeler que Cruz-Diez est l’un des plus grands penseurs et théoriciens de la couleur au XXe siècle et l’un des principaux acteurs de l’art optique et cinétique, au côté de Jesús-Rafael Soto, Julio Le Parc, Agam… « Tous ces artistes sont longtemps restés peu chers par rapport à leur importance dans l’histoire de l’art. En outre leur cote actuelle reste toujours moins élevée que celle d’autres artistes, plus jeunes, liés à la finance internationale », poursuit le galeriste. On ne peut pas vraiment lui donner tort.
Nombre d’œuvres : une trentaine
Prix : entre 30 000 et 480 000 €
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Cruz-Diez et couleur majeure
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 17 septembre (fermée en août), galerie Denise René, Espace Marais, 22, rue Charlot, 75003 Paris, tél. 01 48 87 73 94, du mardi au samedi 14h-19h ; Rive Gauche, 196, bd, Saint-Germain 75007, tél 01 42 22 77 57, du mardi au samedi 10h-13h, 14h-19h, www.deniserene.fr
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Cruz-Diez et couleur majeure