De passage à Paris, Yves Bouvier a accepté un entretien sur ses derniers démêlés judiciaires et son contentieux avec Dmitry Rybolovlev.
Le nom de ce discret transitaire et marchand d’art suisse de 52 ans est apparu avec sa mise en examen l’année dernière pour escroquerie à Monaco, où le milliardaire russe l’accuse de profits indus. Factures et contrats à l’appui, Yves Bouvier nous a répété qu’il n’agissait pas comme « mandataire », mais comme marchand : « La valeur de la collection est indiscutable, il a fait de bonnes affaires, tout comme j’ai fait des bonnes affaires. »
Vous avez été mis en examen à Monaco et à Paris ; Rybolovlev vous réclame des dommages et intérêts considérables à Singapour, où vous avez élu résidence… Comment allez-vous ?
Je vais bien, comme vous le voyez. Avec le temps, je suis confiant pour gagner toutes les procédures. Ceci dit, je vois bien qu’une campagne a été lancée pour me salir et nuire à mes activités. Plus d’un million d’œuvres, dont environ 10 000 tableaux, sont entreposées dans mes compagnies. Vous comprenez que l’acharnement médiatique a de l’effet sur mes affaires.
Vous semblez faire face à l’ouverture de nouveaux fronts ?
La justice m’a déjà donné raison à plusieurs reprises. À Singapour, j’ai gagné la levée de la Mareva (la mise sous séquestre des comptes), une décision majeure, d’autant que la cour d’appel dit clairement que la procédure était abusive et destinée à me nuire.
Néanmoins, le procès civil lancé par la partie adverse a été maintenu…
Nous maintenons que la justice singapourienne n’est pas compétente. C’est le droit suisse qui est mentionné dans les contrats signés au départ de nos opérations, dont la reconduction était tacite par la suite. Donc, c’est la justice suisse qui est compétente.
Le juge a justement estimé que cette justice serait biaisée en votre faveur à Genève. Vous reconnaissez être là-bas un homme d’affaires influent ?
Il a estimé que le droit suisse m’était favorable. Mais mon influence ne peut pas changer le droit. C’est une plaisanterie ! Et que dire de Monaco, où je suis poursuivi pour les mêmes faits par le président de l’AS Monaco ?
Ne deviez-vous pas fournir au juge monégasque des preuves de l’achat des tableaux revendus à M. Rybolovlev ?
J’ai fourni toutes les preuves d’achat à Singapour, car le secret judiciaire y était garanti. Comme tous les marchands, je veux protéger mes sources. Dès qu’une information est transmise à Monaco, elle fuite dans la presse et la partie adverse en profite pour lancer des procédures contre mes vendeurs.
Après la Pinacothèque de Paris, celle de Singapour a dû fermer. Y a-t-il une corrélation ?
Je n’ai pas de lien avec celle de Paris. Étant résident à Singapour, amoureux de Paris, et ami avec Marc Restellini [fondateur et directeur de la Pinacothèque], une de mes compagnies a soutenu financièrement son ouverture à Singapour. Je n’ai jamais participé à la gestion. Malheureusement, elle a souffert de l’ouverture du nouveau musée national et de la gratuité des musées nationaux.
Marc Restellini est également expert de Modigliani ; est-il intervenu dans certaines de vos ventes ?
Je lui ai demandé conseil sur la qualité de trois ou quatre des huit Modigliani que ma compagnie MEI Invest a vendus à Rybolovlev et sur d’autres achetés par ailleurs.
Votre projet dans l’île Séguin est-il compromis ?
C’est un lieu historique, où il pourrait y avoir de grandes expositions. Il a toujours un avenir.
Et qu’en est-il pour la galerie Gradiva à Paris ?
Mes holdings étaient actionnaires de quatre galeries dans le monde telle Gradiva, qui a été rénovée par le décorateur François-Joseph Graf. Nous avons investi plusieurs millions et contribué à alimenter le stock initial. Ces projets ont tous leur gestion autonome.
Votre société familiale est le plus important transitaire en art, vous êtes le premier actionnaire privé et locataire des ports francs à Genève, propriétaire d’autres ports francs à Singapour et Luxembourg. N’y a-t-il pas conflit d’intérêts quand vous vous engagez ainsi dans le commerce de l’art ?
Ces opérations se déroulent dans des entités séparées. Je n’ai aucun rôle dans la société des ports francs de Genève, détenue à 85 % par l’État. Je n’ai pas une clé, pas un code d’alarme d’un dépôt. Je ne suis jamais allé voir chez un client dans le port franc. Je n’ai pas accès aux données informatiques des inventaires clients. Ni moi ni mes compagnies n’avons jamais vendu une œuvre à M. Rybolovlev qui se trouvait auparavant dans un dépôt géré par notre société familiale. Le « système Bouvier » est un mythe créé par la partie adverse pour ternir mon image !
Trouvez-vous les critiques des ports francs justifiées ?
Pour y déposer une œuvre d’art, il faut remplir un formulaire douanier contenant environ trente critères, dont la provenance et les autorisations de sortie. Les lois suisses sont les plus perfectionnées et contraignantes en traçabilité. Les inventaires informatisés sont à tout moment à la disposition de la douane et des autorités. La justice peut nous utiliser comme auxiliaire de justice, autrement dit, quand elle a besoin d’une recherche ou d’un document, elle peut nous requérir, sans avoir à se déplacer.
Avez-vous ouvert les port francs de Luxembourg et Singapour parce que les contrôles étaient plus stricts à Genève ?
Pas du tout, nous appliquons les mêmes normes en interne. Nous avons voulu créer un hub asiatique et un hub européen. Genève ne dispose pas d’infrastructures suffisantes aux vols cargo et longs-courriers.
Vous avez été mis en examen pour recel après la plainte déposée par la fille de Jacqueline Picasso [Catherine Hutin-Blay]pour des œuvres disparues de son box à Gennevilliers, dont deux portraits de sa mère que vous avez vendus en 2013 à Rybolovlev. Que s’est-il passé?
Ma compagnie a acheté un lot de plusieurs œuvres non mises en valeur qui ont été ensuite restaurées, marouflées, encadrées… Pour régler cet achat, elle a suivi les instructions des mandataires de Mme Hutin-Blay, en virant 8 millions de dollars en 2010 à un trust au Liechtenstein détenu par Mme Hutin-Blay.
Mais celle-ci rétorque que ce virement couvrait une tout autre vente, déclarée au fisc à l’époque, et dont personne ne conteste la légitimité.
Je ne comprends pas ce dont elle parle. Cette vente de 2010 d’une dizaine d’huiles sur toile a été faite par Olivier Thomas et intégralement payée à sa société. La principale a été revendue à la société panaméenne de M. Rybolovlev. Tous ces achats ont été réglés par virement à Olivier Thomas, avec le détail de chaque œuvre indiqué dans les factures, qui sont à la disposition de la justice.
Olivier Thomas, qui s’était chargé de l’entreposage, n’apparaît donc nulle part à l’origine des portraits présumés volés ?
Il ne m’a jamais montré d’autres Picasso. Il n’est pas intervenu dans la vente de ces deux gouaches, qui m’avaient été présentées par un marchand avec qui j’avais précédemment fait affaire en pleine confiance.
Mais la galerie Aittouares, à laquelle vous faites référence, dit n’en avoir aucune facture.
La suite de la procédure démontrera à qui appartient la société qui a été rémunérée en tant qu’intermédiaire.
Il y aurait une demi-douzaine d’autres œuvres de la même provenance. Les avez-vous remises à la justice ?
Oui, j’ai déjà remis une œuvre contestée à la justice et il va de soi que je souhaite collaborer pleinement pour les autres.
Version corrigée le 16 juin 2016 qui diffère de la version publiée dans le JDA du 459 où 3 questions avaient malencontreusement été considérés comme des réponses.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Yves Bouvier s'explique en exclusivité sur ses démêlés judiciaires
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Yves Bouvier s'explique en exclusivité sur ses démêlés judiciaires