Exceptionnellement riche et abordant toutes les facettes de l’œuvre du peintre suisse, l’exposition du Centre Pompidou apparaît pourtant un peu trop sage dans son parcours.
PARIS - Si vous hésitez depuis longtemps à acheter un laissez-passer pour un accès illimité au Centre Pompidou, c’est la saison idéale pour sauter le pas. La raison est simple : il est impossible de voir toute l’exposition de Paul Klee (1879-1940) en une seule visite. Il en va de ses tableaux comme de la lecture de poèmes : chacun se déguste lentement et il ne faut pas en consommer trop à la fois sous peine de contracter une indigestion.
La rétrospective gargantuesque du Centre Pompidou est, selon la commissaire Angela Lampe, la plus grande rétrospective du peintre jamais réalisée. Elle est de ce fait exhaustive, présentant dessins, marionnettes et peintures et traitant l’ensemble de l’œuvre de Klee.
Le titre de la manifestation « Ironie à l’œuvre », pourrait dérouter. L’art et l’humour font-ils bon ménage ? On peut en douter, comment expliquer sinon le rejet de la caricature et du dessin comique aux marges de la création, en ne leur accordant, au mieux, qu’un statut d’art mineur. C’est pourtant l’angle choisi avec justesse par Lampe car l’on oublie souvent que Klee est un des rares artistes à ne pas dissocier le tragique du ludique, et à les entrelacer, même. Toutefois, si l’ironie a partie liée avec l’humour, elle se situe à une distance respectable de ce dernier.Depuis le romantisme, et plus particulièrement le romantisme allemand, l’ironie est considérée, selon les termes du dossier de presse, comme « l’ensemble des procédés ludiques » qui ont trait à la condition humaine et ses limites. Dans le cas de Klee, cette vision va s’exprimer avant tout dans le domaine de la satire et de la parodie, qui fait l’objet à l’entrée de l’exposition d’une section dénommée « Dessin satirique ». Rappel bienvenu selon lequel la carrière de ce formidable coloriste a démarré par un travail graphique, proche de la caricature. Mais quelle caricature !
Chez l’artiste suisse, chaque dessin n’est pas une simple figure à charge, réduite à quelques traits et à une idée parfois simpliste, mais un trésor d’inventivité formelle et expressive. Il cherche à « renouveler le répertoire des formes, en s’intéressant aux cultures primitives, aux dessins d’enfants ou d’aliénés, aux productions naïves ou populaires, aux images nées du hasard ou surgies de l’inconscient », écrit l’historien de l’art Bertrand Tillier. Et Klee de déclarer dans son Journal : « Je sers la beauté en dessinant ses ennemis (caricature, satire). » Comme chez Daumier, qu’il admirait, ses dessins satiriques sont de véritables œuvres, d’où peut-être les refus que l’artiste a essuyés quand il les proposait aux journaux ou aux revues.
Ironie tendre ou morbide
Cependant, l’ironie qui accompagne la production plastique de Klee peut prendre des accents différents. Elle peut être tendre, avec Le Masque au petit drapeau (1925), un visage enfantin ridicule et touchant à la fois. Elle peut être plastique avec les « Carrés magiques », où la régularité sévère d’une forme géométrique est envahie par un désordre qui nie toute possibilité de stabilité définitive, comme dans Parterre multicolore (1925). Elle peut être morbide avec Le Jeu dégénéré (1940). Plus allusive que soulignée, plus imaginative que réelle, l’ironie, qui « doit permettre de surmonter toute chose », traverse l’œuvre entière et justifie pleinement le titre de la manifestation. Les titres, devrait-on dire, presque toujours inscrits en lettres minuscules au bord de l’image, et où l’humour est associée à la poésie (Un crieur double [1939], Poissons dans le cercle [1926]).
Consciencieuse, l’exposition n’oublie rien : la fameuse révélation de la couleur en Tunisie en 1914, le théâtre, les années Bauhaus, les dernières années d’exil en suisse ou même le rapport avec Picasso.
Sauf que la majorité des travaux de Klee sont de petite taille et leur accrochage dans des espaces vastes rend par conséquent difficile pour le public un rapport intime avec l’œuvre. De même, si l’articulation des différentes sections est exemplaire par sa clarté pédagogique, elle reste sans surprise. On aurait pu espérer un parcours plus imaginatif et surtout plus ludique. Bref, on aurait aimé que la scénographie de cette exposition, qui a bénéficié de prêts exceptionnels, soit à l’image de la magie que dégage cette œuvre. L’art serait-il trop fragile ou même trop frileux pour se permettre la dérision ?
Commissaire : Angela Lampe, conservatrice au Musée national d’art moderne
Nombre d’œuvres : 300
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Klee, enchanteur jusque dans l’ironie
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 1er août, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, le jeudi jusqu’à 23h, entrée 14 €. Catalogue, 312 p., 45 €.
Légende photo
Paul Klee, Übermut (Exubérance), 1939, huile et couleur à la colle sur papier sur toile de jute, 101 x 130 cm, Zentrum Paul Klee, Berne. © Zentrum Paul Klee Bern.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°455 du 15 avril 2016, avec le titre suivant : Klee, enchanteur jusque dans l’ironie