Patrimoine - Restauration

Proche-Orient - Reconstruire Palmyre

La restauration de Palmyre à l'étude

La reprise à l’État islamique de la cité antique par les forces syriennes loyalistes permet d’envisager la reconstruction du site.

Par Marie Zawisza · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2016 - 1285 mots

PALMYRE / SYRIE

Quelques jours à peine après la reprise de Palmyre par les forces pro-gouvernementales syriennes avec l’appui des Russes, des équipes étaient déjà à pied d’œuvre pour étudier la restauration de la cité antique martyrisée par les djihadistes de Daech. Les premiers relevés sont encourageants, mais le site reste miné et les travaux prendront du temps.

SYRIE - Palmyre outragée, Palmyre brisée, Palmyre martyrisée ! Mais Palmyre libérée ! Sur les photographies du site mises en ligne dès le 27 mars 2016 par la direction générale des Antiquités et des Musées (DGAM) de Syrie, la cité antique, après dix mois passés sous le joug de Daech [acronyme arabe du groupe État islamique], apparaît debout, dans un ciel bleu. « Certes, la cité ne sera plus jamais comme avant ; mais nous la remonterons et la restaurerons », assure Maamoun Abdulkarim, directeur des Antiquités, joint par téléphone à Damas. « Et, à condition de trouver des fonds et sous réserve de la validation de l’Unesco, cette restauration pourrait s’effectuer en cinq ans », avance l’archéologue. Reste à déterminer selon quelles modalités techniques – du simple remontage à la reconstruction par impression 3D – et idéologiques : les Syriens voudront-ils revenir à un état pré-Daech, pour affirmer la préséance de la culture sur la barbarie ? ou en garderont-ils un témoignage ?

Si une équipe de démineurs russes assiste actuellement les forces syriennes pour sécuriser le site encore potentiellement dangereux en raison des explosifs dissimulés, l’état des lieux des destructions a déjà commencé. D’après les experts de la DGAM présents sur place, et les images enregistrées par les drones, environ 20 % du site aurait été vandalisé par l’organisation djihadiste. La cella du temple de Bel – c’est-à-dire sa partie fermée –, le temple de Baalshamin, l’arc de triomphe emblématique de la cité antique, ainsi que des tours funéraires ont été détruits par des explosifs. « Par ailleurs, des personnes ont été tuées par des explosifs, attachées à des colonnes qui se sont probablement écroulées, et des exécutions à grand spectacle ont eu lieu dans le théâtre », souligne Samir Abdulac, vice-président du Comité scientifique international des villes et villages historiques de l’Icomos (Conseil international des musées) et président du groupe de travail pour la Sauvegarde du patrimoine culturel en Syrie et en Irak. On rapporte également que le groupe État islamique a endommagé le site en inscrivant des noms ou des injonctions sur les pierres. Enfin, dans le musée, dont la quasi-totalité des œuvres avait été évacuée à Damas par la DGAM avant l’arrivée des hommes de Daech, les statues intransportables, pourtant cachées par des caisses métalliques, ont été vandalisées.

Pas de « Disneyland » archéologique
Ces destructions ne sont cependant pas toutes irrémédiables. « Un nombre important d’éléments pourront être rassemblés et remontés », assure Yves Ubelmann, directeur d’Iconem, start-up spécialisée dans les relevés 3D pour la sauvegarde des patrimoines menacés par les guerres. « Nous avons utilisé les techniques de la photogrammétrie [au moyen de drones] pour enregistrer les positions des divers éléments à terre, dans le but de déterminer avec précision à quel ensemble chacun appartient en vue du remontage, et ceci dans le musée comme sur le site », explique Yves Ubelmann, contacté au soir du premier jour de la mission d’experts dépêchée sur le site de Palmyre, à laquelle il a participé.

Les statues du musée, assure Maamoun Abdulkarim, pourront facilement être reconstituées grâce aux éléments retrouvés et enregistrés. « Nous retrouverons le lion monumental à l’entrée du musée », se réjouit l’archéologue directeur de la DGAM. De même, une partie importante des édifices détruits au sein du site archéologique pourra être restituée. « D’après les premières expertises, nous remonterons au minimum 30 % de ce qui a été détruit : les éléments de l’arc de triomphe seront réassemblés, de même qu’une partie de la cella du temple de Bel…,  même si certaines pierres ordinaires devront probablement être retaillées, explique Maamoun Abdulkarim. Nous ne pourrons probablement pas retrouver la hauteur initiale de l’édifice, mais le résultat sera scientifiquement et esthétiquement satisfaisant. » Il n’est pas concevable pour ce dernier de construire un nouveau bâtiment, par exemple grâce aux techniques d’impression 3D, dans l’objectif d’obtenir, comme le redoutent certains, un « Disneyland » archéologique. D’autant plus qu’une nouvelle taille artisanale de pierres ordinaires, à partir des relevés photogrammétriques, « donnerait un meilleur résultat et aurait plus de sens pour l’économie locale », estime Yves Ubelmann. À cet effet, Iconem organise actuellement un transfert de ses technologies auprès des équipes locales de la DGAM – à l’image de ce que fait la société américaine CyArk, en lien avec l’Icomos, à travers un programme de formation dispensé à Beyrouth.

Car les technologies 3D constituent un atout essentiel pour la reconstruction du patrimoine syrien – tant pour la restauration que pour l’archivage des sites menacés, à partir de relevés effectués in situ ou de photographies et données anciennes. Symbole d’une collaboration internationale dans ce domaine : l’inauguration le 19 avril de l’arc de triomphe de Palmyre, sur Trafalgar Square, à Londres, réalisé par Digital Archeology. « C’est pour moi un emblème de la lutte internationale contre le terrorisme à travers le patrimoine », affirme Maamoun Abdulkarim, qui, aidé par ces techniques, a déjà engagé des restaurations du patrimoine syrien, de Damas au Krak des Chevaliers (près de Homs), une citadelle classée au patrimoine mondial de l’Unesco, en passant par des édifices religieux de Homs et des maisons vernaculaires du village de Maaloula.

Alep
De fait, la DGAM n’attend pas la fin de la guerre pour restaurer ce qui peut l’être déjà, et envisager la reconstruction post-conflit. « Quand une situation de paix prévaudra, la pression pour une reconstruction rapide se fera sentir dans les quartiers historiques de Syrie », estime Samir Abdulac, de l’Icomos. À cet égard, l’un des défis majeurs sera, sans doute, la reconstruction de la ville historique d’Alep. « La destruction de la vieille ville est d’autant plus rageante que sa réhabilitation, avec la mobilisation des habitants, constituait un modèle pour le monde arabe, poursuit Samir Abdulac. La grande difficulté sera de passer du monument à un tissu urbain très dense. La participation des habitants paraît indispensable. » L’Unesco a déjà organisé une réunion sur la possible reconstruction d’Alep. D’autres séances de travail ont eu lieu en Syrie. Mais outre les défis techniques, le choix sera, avant tout, politique. « On a décidé de reconstruire Varsovie après la Seconde Guerre mondiale pour effacer les traces des Allemands. Au Havre, le choix a été de construire une nouvelle ville, par l’architecte Auguste Perret : aujourd’hui, elle est classée au patrimoine mondial », observe Samir Abdulac. Quelle que soit le projet pour Alep, il devra être accepté par la population.

Un pays en guerre

La reprise de Palmyre, dix mois après que le groupe État islamique (EI) a conquis la perle du désert et la mobilisation internationale pour restaurer les sites antiques, ne doit pas faire oublier que la Syrie est en guerre et que les populations civiles sont les premières victimes d’un conflit qui aurait déjà fait 250 000 morts et poussé à l’exode des centaines de milliers de personnes. Alors que la trêve obtenue le 27 février dernier – qui ne concerne pas l’EI - avait entraîné un relatif apaisement dans le conflit, les combats ont repris en intensité. Depuis l’intervention des Russes, Daech perd du terrain face aux attaques combinées des forces pro-gouvernementales, des rebelles syriens, des Kurdes, et aux bombardements de la coalition emmenée par les Américains. Mais la chute espérée de l’EI ne réglera pas tous les problèmes, une situation chaotique risque de prévaloir encore longtemps sur le terrain, au détriment des Syriens eux-mêmes et de leur patrimoine. J.-C. C.

Légende photo

Le site antique de Palmyre, avant les destructions infilgées par l'Etat islamique. © Photo : Ron Van Oers/Unesco.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°455 du 15 avril 2016, avec le titre suivant : La restauration de Palmyre aÌ€ l’étude

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