Le dessinateur explore les codes de la narration dans un double registre.
QUIMPER - Comment Nicolas de Crécy s’est-il affranchi des cases de la bande dessinée ? Tel pourrait être le sous-titre de l’exposition proposée au Centre d’art de Quimper, le Quartier, en collaboration avec le Fonds Hélène et Édouard Leclerc.
Organisé en deux parties qui pourraient presque fonctionner de façon autonome, le parcours raconte l’histoire d’un dessinateur qui n’a eu de cesse de renouveler les codes de la narration à travers diverses expérimentations, tant dans les genres abordés que les techniques utilisées. Le premier volet plonge le visiteur dans le processus de fabrication d’une œuvre protéiforme, des planches de son premier opus Foligatto (1991), une esthétique convoquant autant James Ensor que Paul Klee, à son dernier ouvrage La République du catch (2015), manga exécuté à la plume, rehaussé d’un lavis en noir et blanc. Cette rétrospective de vingt-cinq ans de travail est l’occasion de plonger dans un univers poétique et fantastique, aux accents surréalistes ; un monde où les têtes coupées parlent, les pianos se déplacent seuls, les fantômes ont droit de cité, les monstres de la mythologie japonaise se baladent dans un Kyoto contemporain. Des planches et story-boards, l’exposition évolue peu à peu vers des œuvres autonomes, dont un immense format panoramique à l’encre de Chine, aux accents de gravure ancienne, perdant le spectateur dans une perspective insaisissable. « Cela donne un côté fragile à l’image, qui aurait sinon un côté froid », commente Nicolas de Crécy.
Les frères Wittgenstein
Puis, dans une petite salle, la sculpture d’une grosse tête blanche et flasque toise le visiteur et le propulse dans un autre monde, celui du « manchot mélomane », produit pour l’exposition. Se déploie alors en trois dimensions l’itinéraire hors norme de Paul Wittgenstein, pianiste virtuose et autoritaire amputé de sa main droite pendant la Première Guerre mondiale, en correspondance avec les écrits de son frère Ludwig, auteur du Tractatus logico-philosophicus (1921). Nicolas de Crécy renouvelle encore davantage sa narration, se montrant aussi à l’aise loin de la feuille de papier et utilisant une diversité de techniques déconcertantes. « Il m’a fallu désapprendre le dessin », commente-t-il. Comme les pièces d’un puzzle, se succèdent un piano à queue à roues et à moteur, un grand dessin au fusain de l’explosion d’un obus, un Bösendorfer dont les touches sont devenues des pierres, ou encore des dessins de compositeurs pour Wittgenstein exécutés à la main gauche. L’un des bijoux de la section est l’ensemble de gravures à la pointe sèche et à l’eau-forte, dont chaque état forme une étape du récit, évoluant au gré de la superposition et de l’effacement. Le motif de la main coupée traverse l’ensemble, et avec elle, l’idée du manque et de la disparition, symbolisant tout à la fois l’impossibilité de créer et l’engloutissement d’un monde avec le premier conflit mondial. Au-delà de l’interrogation sur la création artistique, l’artiste, non dénué d’humour, n’aura pas manqué de donner à ce fil rouge une résonance particulière dans un centre d’art, où la création peut passer par la tête plutôt que par la main.
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De Crécy sort des cases
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 18 septembre, 10, esplanade François Mitterrand, 29000 Quimper, tel. 02 98 55 55 77, www.le-quartier.net, mardi-samedi 13h-18 heures, dimanche 14h-18 h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : De Crécy sort des cases