Sept mois après son arrivée à la tête de l’Académie de France à Rome, Muriel Mayette répond aux critiques essuyées lors de sa nomination et détaille ses projets pour la Villa. Avec une liberté de ton et un enthousiasme hérités de ses années de comédienne et de metteur en scène, elle défend l’institution qu’elle dirige, égratigne certaines initiatives de son prédécesseur et s’explique sur la polémique concernant l’âge des pensionnaires.
Muriel Mayette (51 ans) dirige la Villa Médicis depuis septembre 2015 en remplacement d’Éric de Chassey. Auparavant elle était entrée à la Comédie Française en 1985, pour en devenir vingt-et-un ans plus tard la première femme administratrice générale. Elle a monté de nombreuses pièces.
Pourquoi y a-t-il des militaires italiens à l’entrée de la Villa Médicis ?
Depuis les attentats du 13 novembre à Paris, nous sommes obligés d’avoir ces deux gardes, car j’ai souhaité garder les portes ouvertes de la Villa. Les journaux ont révélé qu’il y avait eu une alerte à la bombe au lycée français Chateaubriand. Je me plie à ces instructions de l’ambassade pour la sécurité du personnel et du public. Et les attentats récents à Bruxelles ne peuvent pas lui donner tort.
Les nominations à la direction de l’Académie de France à Rome (AFR), dont la vôtre, ont souvent fait l’objet de polémiques. Le poste est-il si désirable ?
C’est plus un lieu de fantasmes que de désir, je pense qu’on ne sait pas vraiment ce qui s’y passe tant que l’on n’y a pas vécu. Il y a aussi un fantasme d’une transparence des nominations à laquelle je ne crois pas. On fait croire qu’il faudrait faire un appel à candidatures, mais dans une « distribution », il ne faut pas se couper d’un élan pour quelqu’un ; un élan qui est lié au talent, au bilan, mais aussi à une prise de risque. J’ai fait quarante-cinq mises en scène dans ma vie et je n’ai jamais fait un appel à candidatures pour les rôles de Roméo ou Juliette. Éric de Chassey voulait partir d’ici, il avait l’ambition d’aller ailleurs après deux mandats réussis. Quand j’ai vu le président de la République après mon départ de la Comédie française, je lui ai demandé s’il avait envie de continuer à travailler avec moi, il m’a dit, « oui absolument », et plus tard quand cette opportunité est arrivée, il m’a demandé si la Villa Médicis m’intéressait et j’ai dit oui.
Avez-vous été blessée par la pétition lors de votre nomination ?
Je suis naturellement blessée par chaque article à charge. Mais en l’espèce, j’y ai vu davantage un plaidoyer pour Éric qu’une remise en cause de ma nomination. Ceci étant, on m’a reproché ma méconnaissance du monde des arts plastiques. Diriger une institution culturelle, c’est répondre à la question « à quoi ça sert ? ». Je pense que les artistes sont mieux placés que d’autres pour y répondre. Diriger un théâtre, un musée, l’Académie de France à Rome, c’est le même travail : travailler avant tout avec une équipe. Et moi, je l’ai fait pendant dix mandats à la Comédie française. Je pouvais entendre toutes les critiques artistiques sur ma programmation au « Français », mais pas sur ma capacité à gérer un lieu culturel, avant même d’avoir pris mes fonctions. Je ne connais aucun directeur qui puisse être en même temps spécialiste des arts plastiques, de la musique, de la littérature, de l’histoire de l’art, du théâtre ou du cinéma… Alors, oui, c’est vrai, je ne connais pas tous les solfèges, mais j’ai une équipe pour cela. On ne demande pas à un chef d’orchestre de jouer de tous les instruments.
Est-il raisonnable en ces temps de contraintes budgétaires, de dépenser près de 8 millions d’euros, dont 70 % financés par l’État pour accueillir pendant un an quatorze pensionnaires ?
Quand on voit l’exposition actuelle de Ming, ex-pensionnaire, orchestrée par Henri Loyrette également ex-pensionnaire, la réponse est oui. Il est très important que notre pays continue à nous offrir ce luxe nécessaire. Évidemment, il faut de la confiance pour faire cela, car les résultats n’arrivent pas tout de suite.
Et même pour des pensionnaires étrangers ?
C’est une question légitime et je ne suis pas au bout de ma réflexion sur ce sujet. Je suis étonnée par le nombre de candidats étrangers et le peu de candidats français. Ceci dit, c’est important de ne pas s’enfermer, les pensionnaires français gagnent à la rencontre avec des pensionnaires d’autres pays. Et le réseau qu’ils se constituent est un formidable atout.
En 2016, Rome est-il encore un lieu approprié pour favoriser la création ?
L’histoire est partout ici, ce n’est pas neutre. Le poids de l’histoire cela compte, pour les chercheurs, les accès aux bibliothèques, aux musées, aux églises. Pour les créateurs, c’est un autre défi qui se pose à eux et qui fait que l’AFR a encore toute sa raison d’être : il s’agit de participer à l’histoire des artistes qui ont vécu ici. Au début, la beauté du lieu est sidérante, puis arrivent les « fantômes » : on sent bien qu’il y a eu avant des génies et ressortir de cela est très difficile. Il faut se convaincre que l’on compte malgré tous ceux qui vous ont précédé. Cependant, il faut se reposer la question des temps de présence à la Villa. Pour certaines disciplines, il faudrait pouvoir passer six mois à Rome, puis dans d’autres endroits. Tous les projets n’ont pas besoin de douze mois à Rome.
Pensez-vous, comme l’a souhaité Éric de Chassey, qu’il est important que les ex-pensionnaires fassent état de leur séjour à la Villa dans leurs productions ?
Oui, je pense que c’est important. Mathias Énard, le prix Goncourt 2015 est un ancien pensionnaire, personne ne le sait et lui-même n’en fait pas état. Cela permettrait de bien montrer aux Français le rôle de la Villa. De même, j’aimerais montrer à Paris l’exposition des projets des pensionnaires. Mais je comprends aussi que l’on veuille prendre de la distance avec l’AFR. Quand je suis rentrée au « Français », il y a trente ans, à l’époque ce n’était pas bien vu, on était impertinent, rentrer dans une institution c’était se cadrer tout de suite et l’on était réticent à le mettre en avant. Maintenant cela a changé et les sociétaires en sont fiers. Il faut arriver à la même chose ici.
Quelle est en définitive votre position sur l’âge des pensionnaires ?
Je n’ai pas été bien comprise. Je n’ai pas dit que je voulais supprimer la limite des 45 ans pour accueillir des pensionnaires plus âgés, bien au contraire, je souhaite aller chercher des talents à naître. La Villa Médicis doit accompagner des naissances à la profession, et viser des pensionnaires entre 30 et 35 ans et ne pas entériner des talents bien installés. Il faudrait que l’on puisse dire : « Ah tu as commencé à la Villa Médicis ! » J’en discute avec le jury, mais je dois admettre que tout le monde n’est pas d’accord avec moi.
À quoi sert le « Nouveau Prix de Rome » ?
Je voudrais d’abord dire que c’est un nom très mal choisi, qui n’a pu être changé car il est dans les textes. Les Académiciens des beaux-arts ne sont pas d’accord avec ce terme. Il en faudrait un autre. S’agissant de son rôle, c’est le premier spectateur du travail des pensionnaires, un bienveillant, un parrain. Cette année, c’est le paléontologue Yves Coppens. Il vient tous les mois, certains pensionnaires le rencontrent, d’autres non, ce n’est pas obligatoire.
Vous avez déclaré dans la presse que l’art n’est pas assez populaire. Quel est votre programme pour la Villa ?
Je ne veux pas qu’il y ait plus de public, je veux que la programmation soit pour tous les publics, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Je pense à une programmation populaire dans le sens où Jean Vilar l’entendait ; une programmation utile, accessible, exigeante. Je ne suis pas contre les propositions élitistes, mais je pense, comme j’ai pu le constater au théâtre, qu’il est plus facile de faire une programmation élitiste qu’une programmation populaire. C’est pour cela que j’ai mis en place les « Jeudis » qui sont des conférences ouvertes à tous, sur des thèmes variés et qui peuvent accueillir jusqu’à 300 personnes. Quand je suis arrivée ici, tout le monde me disait que la Villa était trop fermée. Et pourtant, il n’y a jamais eu autant de visiteurs, donc c’est une question d’image. Il faut ouvrir les portes dans les deux sens, sortir et montrer ce que font les pensionnaires.
Quand allez-vous lancer le Cercle des bienfaiteurs ?
Très prochainement, c’est une forme de société des Amis qui vise à impliquer les Italiens sur la longue durée, les cotisations démarreront à 1 000 €. J’aimerais bien arriver à récolter 200 000 euros par an. Je voudrais aussi monter un fonds de dotation afin de déconnecter les ressources propres de la Villa des directeurs successifs. Et puis, dans mes autres projets administratifs, je réfléchis à faire évoluer l’activité d’hôtellerie.
Dans une société où les symboles comptent beaucoup, où toute communication est périlleuse, allez-vous adapter votre comportement ?
On ne peut pas diriger une entreprise de création avec précautions. Je ne cherche pas la provocation, si elle arrive c’est parce que je vais vers un sens que je pense juste et cela provoque une vibration. J’essaye de grandir des critiques, mais faire autrement que ce que je fais avec conviction, je n’en suis pas capable.
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Muriel Mayette : « La Villa Médicis doit accompagner des naissances à la profession »
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Abonnez-vous dès 1 €Muriel Mayette-Holtz. © Photo : Assaf Shoshan.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : Muriel Mayette : « La Villa Médicis doit accompagner des naissances à la profession »