PARIS
La Galerie Gagosian expose les récentes séries de dessins de l’artiste américain, qui inaugure là un rapport d’intimité et de sensibilité à la matière comme à la lumière.
PARIS - « N’hésitez pas à mettre vraiment le nez dessus », conseille Richard Serra pour mieux voir ses derniers dessins, exposés à la Galerie Gagosian, à Paris. Lorsqu’on lui réplique qu’on risque de se mettre du noir sur la peau, la réponse fuse : « Mais non, il y a une vitre ! » On ne l’aurait peut-être pas remarquée : les dessins ont une telle densité qu’ils la font oublier et semblent nous mettre en contact direct avec la matière du dessin.
Car c’est bien de cela dont il s’agit dans ces nouvelles œuvres : d’une question de matière et de position, de distance – de l’artiste en train de les réaliser aussi bien que du spectateur. Serra travaille lui-même très près du papier. Une révolution en quelque sorte puisque ces petits ou moyens formats n’ont rien à voir avec les sculptures monumentales qui ont fait la réputation de l’artiste américain. De même sont-ils incomparables avec les grands dessins à la monochromie noire réalisés par le passé et qui s’inscrivent dans un registre de sensation similaire à celui de ses sculptures. Ces deux pratiques jouaient l’une et l’autre sur une notion d’échelle comme sur le rapport entre l’œuvre, le corps du spectateur et l’environnement. Avec ces dernières feuilles, l’enjeu est différent. Il est plus de l’ordre de l’« intimité » selon le terme employé par Serra. Depuis ce point de vue rapproché, cette nouvelle série permet d’apprivoiser les dessins quand les grandes plaques de métal ont toujours eu tendance à emmener le spectateur dans leur immensité verticale.
Frottage
Serra a toujours accordé une place importante à la pratique du dessin. Celui-ci « est un corps autonome, totalement indépendant, séparé de l’activité de sculpture », rappelle-t-il. Précisant : « Jusqu’alors, j’avais toujours utilisé les deux bras dans des mouvements amples. Là c’est totalement différent : je ne me suis servi que de mes mains. Et j’ai travaillé à l’aveugle. J’ai simplement refusé tous les dessins qui ne me convenaient pas. »
Car la technique aussi est inédite. Serra a procédé par frottage et transfert. Il a recouvert une feuille à l’aide de poudre de pastel et de crayon lithographique, feuille qu’il a retournée, plaquée et frottée sur une autre, vierge, pour travailler sur la trace, l’empreinte, la mémoire. Sur les noirs, les blancs, les gris également puisque d’une œuvre à l’autre l’intensité change. La diversité du comportement de la matière dans sa relation au papier, et en conséquence la mouvance des masses, des densités créent de très beaux effets, ici d’opacité, là de luminosité. Confirmant l’adage de Serra lui-même : « C’est la matière qui fait la forme. » Et aussi la surface, avec ses subtiles variations de transparence ; en témoignent ces deux grandes séries, composées l’une de 33 dessins, l’autre de 18, intitulées comme l’exposition « Ramble Drawings ».
Si Serra nous invite à la proximité, il nous incite aussi à nous déplacer latéralement devant ces œuvres pour découvrir leur déclinaison de lumières, un changement radical pour un artiste qui jusqu’alors nous a toujours plongés dans le noir. Se révèle alors la grande coordination des dessins entre eux, comme une concaténation, un enchaînement de l’un à l’autre alternant des tensions et des variations plus lentes, comme dans le domaine musical. C’est en effet bien une partition de gris, modulée en fonction des moments de la journée, qu’orchestre Richard Serra. Il est spécialement venu deux jours à Paris pour parfaire son accrochage et mener au mieux cette recherche de sensations et d’émotions, d’expérience et d’éternel dialogue (avec l’autre, avec l’espace, avec le temps, avec un contexte) qui a toujours animé sa démarche.
Les prix aussi sont soignés qui vont de 175 000 dollars (plus de 155 000 euros) pour les plus petits formats (47 x 61 cm) à 300 000 pour les plus grands (94 x 92 cm). Un prix relativement élevé mais Serra est un artiste majeur et il porte en plus la marque « Gagosian ».
Nombre d’œuvres : 56
Prix : entre 175 000 et 300 000 $ (155 800-267 000 €)
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Richard Serra au près serré
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 2 avril, Galerie Gagosian, 4, avenue de Ponthieu, 75008 Paris, tél.01 75 00 05 92, www.gagosian.com, du mardi au samedi, 11h-19h.
Légende photo
Richard Serra, Ramble 4-26, 2015, crayon et poudre de pastel sur papier, 90,2 x 93,3 cm. © Richard Serra. Photo : Robert McKeever. Courtesy Gagosian Gallery.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Richard Serra au près serré