PARIS
Fermé pour travaux depuis 2009, le Musée de l’Homme rouvre enfin au public. Alors que l’extérieur de l’aile Passy du Palais de Chaillot n’a pas été touché, l’intérieur a été entièrement rénové pour donner plus d’éclat à une Galerie de l’Homme résolument pédagogique et tournée vers le grand public. La présence singulière et historique de 150 chercheurs en son sein a incité le musée à revenir à son concept de « musée-laboratoire ».
Le 17 octobre, le Musée de l’Homme rouvre ses portes. Six ans et demi de chantier n’auront pas changé d’un iota les façades de l’aile Passy du Palais de Chaillot. À l’intérieur pourtant, c’est une révolution, assumée derrière une fidélité déclarée à un homme et à son projet initial : le « musée-laboratoire » de Paul Rivet (1876-1958). Le fondateur du Musée de l’Homme est redevenu la boussole d’un établissement donné pour mort il y a quelques années, et qui a choisi de se reconstruire en revenant à son utopie fondatrice.
Le Musée de l’Homme est né d’un triple héritage. Il est d’abord le prolongement scientifique de la chaire d’anthropologie (1855) du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Pour le bâtiment et les collections, il hérite du Musée d’ethnographie du Trocadéro (MET), fondé par Ernest Hamy et installé sur la colline de Chaillot dès 1878. Ce musée rassemble alors les objets rapportés des Amériques par les diplomates et explorateurs, et quelques pièces issues des cabinets de curiosités du XVIIIe siècle. À la fois directeur du MET et titulaire de la chaire d’anthropologie du MNHN, Paul Rivet crée le lien institutionnel qui sera au fondement du lieu. L’« Homme » étant un maillon parmi d’autres de la grande histoire naturelle du monde, c’est logiquement que l’anthropologue conçoit en 1937 le Musée de l’Homme tel un département (de diffusion) du MNHN, statut qu’il conserve encore aujourd’hui.
La troisième filiation du Musée de l’Homme vient de l’institut d’ethnologie de l’université de Paris dont Rivet est le secrétaire. Créé en 1925 par le ministère des Colonies, l’institut est dirigé par Marcel Mauss et Lucien Lévy-Bruhl. Ces deux figures des sciences humaines vont asseoir le projet de Rivet sur une science commune, complète et transversale, refusant l’éclatement des disciplines et la spécialisation alors en cours. Dans une Europe gagnée par les fascismes, « Rivet l’utopiste engagé croit au progrès et pose le monogénisme d’alors [tous les humains viennent d’un même type d’Homo erectus, NDLR] contre les thèses racistes », explique Fabrice Grognet, ethnologue et muséologue, spécialiste de l’histoire du musée. On comprend que l’institution ait abrité l’un des premiers groupes de résistance à l’occupant nazi, le fameux « réseau du Musée de l’Homme ».
Après la guerre, autour de penseurs et scientifiques célèbres (Claude Levi-Strauss, Jacques Soustelle, Michel Leiris), le musée organise de grandes expositions, attirant jusqu’à 400 000 visiteurs. Mais les moyens sont structurellement trop faibles. Le journal Le Monde écrit en 1963 : « La maison tend à l’asphyxie. Les locaux sont insuffisants et les crédits officiels nuls. La charité du Muséum et du C.N.R.S. ne peuvent assurer ni un éclairage ni un chauffage efficace […]. Les acquisitions sont impossibles. » Les collections vieillissent et leur intérêt strictement scientifique diminue. Peu à peu les meilleurs chercheurs s’écartent d’un musée « autrefois central, devenu périphérique », explique Fabrice Grognet. Le Musée de l’Homme périclite sous son image poussiéreuse. Le projet de « musée des arts premiers » voulu par Jacques Chirac lui donne le coup de grâce (lire p. 10). Vidé de ses collections, attirant péniblement 100 000 visiteurs par an, le Musée de l’Homme est moribond.
Les idées avant les collections
La réforme entamée en 2001 nécessite quatorze années pour être menée à bien. À l’évaluation succèdent de longs débats, d’abord difficiles, entre les conservateurs, les muséologues et les scientifiques, qui finissent par accoucher d’un projet collégial : une table rase muséographique, fonctionnelle et pédagogique. Les quatre ans de travaux nécessaires en durent six et coûtent 90 millions d’euros, financés quasi exclusivement par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). Sous la cotutelle du MESR et du ministère de l’Écologie et du Développement durable, le Musée de l’Homme propose aujourd’hui une refondation plus qu’une simple rénovation.
Selon Évelyne Heyer, commissaire générale de la Galerie de l’Homme, l’exposition permanente repensée, « le Musée de l’Homme doit devenir un lieu de référence pour répondre aux grandes questions de la société, en faisant se rencontrer les sciences humaines et biologiques ». Plus proche de la Cité de la Villette que du Quai Branly, le Musée de l’Homme a choisi de centrer son propos non plus sur ses collections mais sur des idées. Un choix subi (collections amputées) autant qu’assumé du point de vue pédagogique : « Qui sommes-nous ? », « D’où venons-nous ? », « Où allons-nous ? » sont les trois étapes de la muséographie pluridisciplinaire qui a mobilisé une cinquantaine de chercheurs auprès de l’équipe-projet. Signe d’une guerre apaisée, « les collections naguère dissociées d’ethnologie et d’ethnobiologie sont réunies dans un seul ensemble d’anthropologie culturelle », note Serge Bahuchet, directeur du département Hommes, natures, sociétés.
Face à une classe politique préoccupée par la montée des obscurantismes et dans un paysage intellectuel toujours plus spécialisé, le projet du nouveau Musée de l’Homme est séduisant sur le papier. Mais avec un budget de fonctionnement de 4,5 millions d’euros (hors salaires), l’institution semble aussi peu armée qu’avant pour atteindre son objectif de 400 000 visiteurs par an. L’année 2016 bénéficiera sans doute de l’effet de la réouverture, mais 2017 dépendra du succès de la première grande exposition temporaire : « Des préjugés au racisme, l’exclusion de l’autre ». Un programme qui appelle, outre la rigueur scientifique de la maison, une transversalité et de grandes vertus pédagogiques. Deux ingrédients sine qua non du musée-laboratoire pensé par Rivet, et qu’il ne faudra pas reperdre en chemin.
Maîtrise d’œuvre rénovation du bâtiment : agence Brochet-Lajus-Pueyo atelier d’architecture Emmanuel Nebout
Scénographie-muséographie exposition permanente : Zen dCo
Superficie totale : 16 000 m2 dont 3 700 m2 d’espaces publics
Coût : 90 M€
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Le Musée de l’Homme retourne à ses origines
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Musée de l'Homme © M.N.H.M. - J.-C. Domenech
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°443 du 16 octobre 2015, avec le titre suivant : Le Musée de l’Homme retourne à ses origines