AIX-EN-PROVENCE
Culturespaces marque une nouvelle ère de son histoire en ouvrant à Aix-en-Provence un centre d’art dans l’hôtel de Caumont acquis et transformé pour un coût global de 20 millions d’euros. Admirablement restauré, le lieu accueille un charmant salon de thé-restaurant couplé à des salles d’expositions qu’inaugure une présentation de Canaletto.
AIX-EN-PROVENCE - La façade en pierres aux reflets dorés issues des carrières de Bibémus, chères à Cézanne, resplendit au soleil de ce début de mois de mai : l’hôtel de Caumont, petit bijoux aixois du XVIIIe siècle, longtemps délaissé, a belle allure.
L’architecture classique des plans conçus par Robert de Cotte dans les années 1715 pour une grande famille de robe aixoise est très parisienne avec sa belle cour d’honneur. Il aura fallu en tout dix-huit mois de travaux pour transformer l’ancien Conservatoire de musique d’Aix un peu délabré en un centre d’exposition renouant avec les gypseries et les lambris de son passé.
Un lieu dédié à l’art ancien ou contemporain
Dès 2009, la municipalité d’Aix-en-Provence décide de mettre en vente l’édifice pour financer la construction du nouveau conservatoire de musique : la petite annonce passée sur le site de la mairie en mars 2010 émeut alors les associations de défense du patrimoine, qui craignent une opération immobilière et la privatisation du lieu. Répondent à l’appel à projets lancé par la mairie, des transformations en hôtel de luxe et le dossier présenté par Culturespaces, un centre d’art dédié à des expositions internationales, dans le champ artistique ancien, moderne et contemporain, adossé à un salon de thé-restaurant.
Le projet séduit la mairie qui cède le bâtiment pour 10 millions d’euros à Culturespaces. « C’est la première fois que Culturespaces acquiert un lieu en propre et l’opportunité de l’achat de l’hôtel dans le Sud-Est, où nos activités sont très bien implantées, à Aix-en-Provence, capitale culturelle du Sud de la France, s’est imposée : créer un espace du type de la Kunsthalle allemande, ouverte à tous les arts », explique fièrement Bruno Monnier, président de Culturespaces.
L’entreprise, qui gère en France quatorze lieux dont le Musée Jacquemart-André à Paris, les Arènes de Nîmes, le Théâtre antique d’Orange ou les Carrières de lumières aux Baux-de-Provence, joue gros : entre l’achat et la restauration de l’hôtel, elle a investi plus de 20 millions d’euros. La restauration du bâtiment a été conduite par Mireille Pellen, architecte du patrimoine grande connaisseuse des secteurs sauvegardés d’Arles et de Grasse : « L’hôtel était dans une gangue d’éléments très disparates. Il y avait des cloisons modernes, des faux plafonds, des revêtements de sols de type linoléum. Il a fallu déshabiller les espaces, se plonger dans les archives et se laisser mener aussi par les découvertes du chantier pour retrouver les choses cachées. »
Restitution de l’esprit provençal du XVIIIe
Les deux niveaux supérieurs de l’hôtel, trop dégradés pour restituer un décor, ont été dévolus aux espaces d’expositions. Au rez-de-chaussée, l’enfilade de trois salons forme aujourd’hui le salon de thé avec un Salon des rinceaux paré de très belles gypseries d’origine et d’une couleur bleue révélée par les sondages, tandis qu’un Salon chinois a été créé avec une tapisserie peinte à la main « dans l’esprit de ce qu’on pouvait trouver dans les hôtels particuliers aixois à la même époque », explique l’architecte. Le jeu entre restitution et restauration est subtil : au premier étage, une seule pièce, renommée la Chambre de Pauline de Caumont, du nom d’une de ses propriétaires, conservait ses tommettes d’origine. Il a fallu les mouler et faire exécuter des copies à Salernes, en Provence pour recouvrir les sols des 2 500 m2 de l’hôtel.
Avec la Chambre de Pauline, le Salon de Musique compose l’espace de visite hors temps d’exposition temporaire : ces salles dites « historiques » conservaient l’essentiel de leurs décorations d’intérieur, leurs lambris dorés et leurs gypseries élégantes. Pendant deux ans, les équipes de Culturespaces ont couru antiquaires et salles de vente, surtout en Provence, pour remeubler ces espaces avec des œuvres et du mobilier. Un clavecin peint du début du XVIIIe, une harpe de Naderman de la fin du XVIIIe et un Concert, toile attribuée à Pierre-Jacques Caze, maître de Chardin, forment les pièces maîtresses du Salon de musique, évocation d’une certaine élégance du siècle des Lumières. Près de 400 000 euros ont été dévolus à la décoration et à l’ameublement, en association avec le décorateur Didier Benderli, passé par le studio Jacques Garcia. L’ensemble fait de l’effet, réussissant à redonner une atmosphère d’intimité aux lieux, même si les plus chagrins regrettent le manque d’informations sur les tableaux, gravures et dessins décorant les salles : l’hôtel n’est clairement pas un musée.
Coté jardin, l’hôtel de Caumont s’augmente d’un nouvel élément paysagé, prévu sur les plans de Robert de Cotte, en contrebas de la terrasse arborée du salon de thé. Une jolie fleur de lys, toute en buis et en fleur, que l’architecte avait imaginée sans que les propriétaires ne la concrétisent.
On peut malgré tout s’interroger sur le pari fait par le président de Culturespaces : ce lieu, voulu comme un centre d’art polyvalent, trouvera-t-il un public hors des temps d’expositions ? Pour enrichir les deux salles du parcours permanent, le lieu offre aussi la projection d’un film sur Paul Cézanne en collaboration avec Philippe Coutagne, grand spécialiste du peintre et ancien conservateur du Musée Granet : une caution scientifique qu’il faudra enrichir pour faire vivre le lieu au-delà d’un joli restaurant-boutique, après l’exposition « Canaletto » (lire ci-dessous), en attendant d’y voir les collections du Liechtenstein et une grande exposition Turner, prévue en 2016.
Canaletto et Culturespaces, un tandem qui a déjà porté ses fruits : en 2012, le Musée Jacquemart-André confiait déjà au Docteur Bozena Anna Kowalczyk la charge de présenter « Canaletto-Guardi », qui avait remporté un large succès avec 240 000 visiteurs. À Caumont, l’exposition se recentre sur la seule figure d’Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768), et suit son parcours de Rome à Venise en passant par Londres. Tout le travail de la commissaire aura été de sélectionner des œuvres sans se répéter. Sur les cimaises, toujours des œuvres en provenance de collections prestigieuses, anglaises pour la plupart, mais qui diffèrent subtilement de l’exposition parisienne : ainsi venu du Bowes Museum en Angleterre, Venise, le Bucentaure de retour du Môle (vers 1731-1732) remplace La Régate sur le Grand Canal (vers 1735). Autre très bel aspect de l’exposition aixoise, l’attention portée aux dessins et esquisses du maître vénitien : dans la section « Du dessin à la peinture » dix dessins sont présentés, dont trois avec leurs peintures finales. Prise de note sur le motif, œuvres abouties, inspiration réactivée après son passage à Rome, ces œuvres sont essentielles pour comprendre le génie des compositions de Canaletto. La commissaire en profite pour réattribuer au peintre quelques œuvres, de quoi faire jaser ou avancer les recherches sur un corpus très mouvant.
Jusqu’au 13 septembre, Caumont Centre d’art, tlj, 10h-19h, entrée 11 €, Catalogue Ed. Fonds Mercator, 224 p.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La nouvelle vie de l’hôtel de Caumont
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €3 rue Joseph Cabassol, 13100 Aix-en-Provence, tél. 04 42 20 70 01, ouvert tlj, mai-septembre 10h-19h, octobre-avril 10h-18h, nocturne les mardis jusqu’à 21h en période d’expositions. Entrée 6 ou 11 € (suivant exposition), www.caumont-centredart.com
Légendes Photos :
Caumont Centre d’Art, à l’angle des rues Joseph Cabassol et Mazarine, Aix-en-Provence. © Photo : C. Michel
Caumont Centre d’Art, le café Caumont, salon des Rinceaux. © Photo : S. Lloyd.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : La nouvelle vie de l’hôtel de Caumont