MONDE
Si les modèles de ventes d’art en ligne divergent, les tendances s’affirment et le profil d’une nouvelle génération d’acheteurs se dessine.
Artfinder, Artspace, Artsper, Artuner, Artviatic, Artsy… Le nombre de sites de ventes en ligne d’œuvres d’art et leurs noms étrangement voisins interpellent. Cette offre foisonnante se développe en parallèle des enchères en ligne proposées par les maisons de vente (telles les vacations Warhol totalement dématérialisées chez Christie’s ou la plateforme DrouotOnline 100 % Internet), des live [enchères en direct] de ces mêmes sociétés (le nouveau téléphone !) et des sites de ventes (Interencheres en France ou Artvaluable aux États-Unis). Des dizaines de sociétés se sont engouffrées dans ce créneau, majoritairement aux États-Unis, en Asie et en Europe. La France, où se côtoient Expertissim, Artsper, LotPrivé et bien d’autres ne fait pas exception. Ces trois derniers mois, deux nouveaux venus faisaient leur apparition dans l’Hexagone : My Web’Art et Artvizer. Les sommes investies sont également en pleine expansion. Chez les Américains, en 2013, Artsy a réuni un tour de table à hauteur de 4,8 millions d’euros et Artspace de 7,3 millions d’euros. En France, Expertissim a levé 5 millions d’euros fin 2013, Lotprive.com 800 000 d’euros à la même période et Artsper, l’un des derniers nés, 300 000 euros en avril dernier.
Réponse aux faiblesses du marché traditionnel
Pourquoi un tel engouement ? Chacun souhaite sa part du gâteau dans un marché de l’art en ligne en augmentation constante, (20 % par an) estimé dans sa globalité à 1,57 milliard de dollars en 2013 (rapport Hiscox/ArtTactic publié en avril 2014). C’est en constatant les imperfections du réseau traditionnel – maisons de ventes, galeries, brocantes ou marchands – que ces entrepreneurs ont sauté le pas. Bianca Hutin, fondatrice de My Web’Art, pointe du doigt les maisons de ventes : « Les commissions sont très importantes », indique la jeune femme. François Xavier Trancart, cofondateur d’Artsper regarde du côté des galeries « Elles n’ouvrent pas leurs portes, ceux qui veulent s’offrir de l’art n’y ont pas accès », explique le jeune entrepreneur, qui « ne trouvait pas de site où acheter en ligne, avec un catalogue complet, riche en termes de contenus et d’images, où trouver des biographies ou les expositions ». Le paysage a beaucoup changé ces derniers temps au détriment du segment intermédiaire. Les grandes maisons de vente anglo-saxonnes ont consolidé leur positionnement sur le marché haut de gamme, profitant en France de la dérégulation, quand eBay règne sur les petits prix. Le marché moyen quant à lui, connaît des difficultés. « Tous les brocanteurs ont disparu, on les retrouve dans les marchés à la mode, un peu aux puces et aujourd’hui, sur Le bon coin. Les marchands sont encore nombreux en province mais ne sont pas capables de vendre des objets aux Américains ou aux Chinois. Ils se tournent vers Drouot où les frais sont importants », constate Gauthier de Vanssay, fondateur d’Expertissim. De leur côté, antiquaires et galeries de taille moyenne doivent courir les foires pour vendre leurs pièces. Quant aux acheteurs novices, ils voient dans le Net un canal d’achat moins intimidant que le marché traditionnel. 39 % des sondés de l’étude Hiscox/ArtTactic font ainsi ce constat.
Alors que certains acteurs, tel Artviatic, se dirigent vers le haut de gamme, c’est le marché intermédiaire qui concentre la grande majorité de ces sociétés, dont le panier moyen oscille entre 800 euros (Expertissim ou Lot privé) et 2 000 euros (chez Artsper). Les modèles divergent. Certains ont choisi des modèles où les artistes présentent directement leurs œuvres, formant une seule galerie virtuelle (les anglo-saxonnes Saatchi Art ou Artfinder), quand d’autres passent par le filtre de marchands (Artsy ou Artspace aux États-Unis, Artsper en France), certains se spécialisant sur le second marché (Expertissim ou Lot privé en France).
La légitimation, un enjeu important
Comment faire pour inspirer confiance dans un secteur où la réputation du vendeur est la clé de voûte du système ? Au-delà des rares plateformes issues de sociétés qui ont pignon sur rue, ces nouveaux acteurs s’efforcent de s’associer avec des partenaires du marché traditionnel, qu’ils soient galeries (Gagosian, Perrotin et d’autres chez Artsy), maisons de ventes (l’annonce de l’accord entre eBay et Sotheby’s a fait grand bruit en 2014), ou experts (Expertissim). Cela s’opère non sans difficulté auprès d’acteurs qui restent méfiants. « L’une de nos problématiques est d’éduquer les galeries à Internet, qui est souvent vu comme un ennemi », observe François Xavier Trancart (Artsper). Même son de cloche chez Expertissim dont le fondateur constate : « La complémentarité naturelle ne vient pas aussi vite que je le souhaiterais, les acteurs traditionnels n’ont pas toujours envie de changer de mode de vente. »
Qui sont les clients de ces plateformes ? Chez Artsy, on indique : « Étant donné la taille de notre champ d’action (nous présentons les œuvres de 2 500 galeries et plus de 400 musées et institutions culturelles partenaires), notre audience est très diverse, des étudiants qui utilisent le site dans un but éducatif, à d’importants collectionneurs. » La clientèle visée semble se distinguer des acheteurs traditionnels, indiquant que ces plateformes devraient élargir le marché de l’art plutôt que de se substituer à des acteurs physiques. Vincent Hutin, fondateur de LotPrivé, indique : « Nous nous adressons à des clients qui n’achètent pas en galerie car c’est deux à trois plus cher que chez nous, ni dans les maisons de ventes. Ce sont des cibles très différentes. » Gauthier de Vanssay, relève quant à lui : « Nous pensions d’abord aux professionnels, mais aujourd’hui nous remarquons une clientèle qui ne connaît pas le marché. Pourquoi ? Parce que nous le démocratisons ! » La tendance est pourtant inverse chez Artsper. Son fondateur explique : « Nous avions ciblé les amateurs non initiés, ceux qui ont une appétence pour l’art, qui visitent la Fiac ou l’exposition Jeff Koons, mais ne vont pas en galeries, pour des raisons de temps, de budget ou parce qu’ils sont mal à l’aise. Mais cela a évolué vers des acheteurs plus confirmés. »
Les achats les plus fréquents concernent des œuvres originales avec un fort penchant pour la peinture. D’après l’étude Hiscox/ArtTactic, 61 % des acheteurs d’art en ligne ont acquis un ou plusieurs tableaux en ligne au cours des douze derniers mois. Rebecca Wilson, chief curator (conservateur en chef) et directrice de Saatchi Art, confirme la tendance : « Le medium le plus populaire est la peinture, les gens aiment l’idée de découvrir un travail unique ». Mais ne cherchez pas de grands noms de la peinture, sur le site lancé par Charles Saatchi, la veine est plutôt décorative. Preuve en est, le système de recherche permet de trier les œuvres à partir d’un nuancier de couleurs très développé. Les artistes se réclamant du street art sont très présents sur les plateformes. « Nous vendons assez bien JR, JonOne et d’autres, des artistes qui ont déjà un nom », indique François Xavier Trancart (Artsper).
Pour une petite acrylique sur bois de Jérôme Mesnager, comptez 1 000 euros, pour une toile de Chanoir, il faudra débourser 3 500 €. « La photographie est également très populaire », poursuit Rebecca Wilson. Sur Artsy, les tirages d’Ivan Argote sont accessibles dès 5 000 euros, quand ceux d’Ed Ruscha, sont à vendre à partir de 4 000 euros.
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À l’assaut du marché de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : À l’assaut du marché de l’art