Bruno Monnier, président fondateur de Culturespaces, dévoile ses projets de développement et livre son analyse du secteur.
La société privée Culturespaces gère et anime la quinzaine de sites qui lui ont été confiés par des institutions publiques, parmi lesquelles le Musée Jacquemart-André à Paris, les Arènes de Nîmes, la villa Kérylos à côté de Nice ou encore le château des Baux-de-Provence. Son président fondateur explique ses projets de développement et livre son analyse du secteur.
Comment se porte la fréquentation dans les sites gérés par Culturespaces sur les premiers mois de l’année ?
À fin août, sur dix sites, nous avons accueilli 1,54 million de visiteurs, et nous pensons atteindre 2,3 millions de visiteurs d’ici à la fin de l’année, un résultat qui montre une quasi-stabilité par rapport à l’an dernier. Cela s’explique par un mauvais score pour l’exposition « De Watteau à Fragonard » au Musée Jacquemart-André (environ 120 000 visiteurs, deux fois moins qu’espéré), dénotant une désaffection du public pour la peinture du XVIIIe siècle français, face à une offre concurrente de qualité, je pense notamment au Musée Marmottan.
En revanche, nous sommes en progression sur tous les sites patrimoniaux, grâce notamment à la mauvaise météo de cet été. Nous avons ainsi fait des chiffres records en Alsace ! La diversité de nos sites montre là tout son intérêt.
Justement, la décision d’ouvrir un nouveau lieu en 2015 à Aix-en-Provence procède-t-elle d’une simple opportunité ou d’une volonté de s’installer dans le Sud-Est ?
C’est le fruit d’une véritable stratégie de développement culturel dans le Sud-Est, mais aussi partout en France, dans des lieux qui ne sont pas forcément liés à une délégation de service public. Nous disposons déjà de plusieurs sites en gestion dans cette région que nous connaissons bien et dont nous pensons qu’elle offre un bassin suffisant de visiteurs pour des expositions temporaires. Il y a en Provence un attrait pour la culture presque aussi important qu’à Paris. La zone qui s’étend d’Avignon à Toulon en passant par Marseille est non seulement très habitée mais accueille de nombreux touristes intéressés par la culture. Je pense au Festival d’Avignon, à celui d’Aix, au Grand Théâtre de Provence, aux expositions du Musée Granet (Aix-en-Provence) qui ont été visitées jusque par 400 000 personnes.
Mais dans le même temps l’offre patrimoniale à Aix est assez faible. C’est pourquoi nous n’avons pas longtemps hésité lorsque la Ville d’Aix, pour financer son nouveau conservatoire, a mis en vente l’hôtel de Caumont, un magnifique hôtel particulier du XVIIIe qui abritait auparavant le conservatoire de musique. C’est notre première acquisition et cela correspond à une nouvelle phase de notre développement. Après une phase de conseil puis de gestion déléguée, nous voulons maintenant créer nos propres sites ex nihilo par l’achat ou la location d’un lieu que nous aménageons.
En combien de temps pensez-vous pouvoir trouver l’équilibre budgétaire ?
Nous sommes très ambitieux, puisque, en tenant compte des coûts d’acquisition, qui s’élèvent à 10 millions d’euros (un prix défini par les Domaines), et des coûts de restauration d’un même montant (financés à 80 % par emprunt), nous espérons atteindre l’équilibre dans deux ou trois ans. Nous sommes en partie subventionnés par la direction régionale des affaires culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur, notamment pour le ravalement extérieur.
Nous visons 400 000 visiteurs grâce à deux expositions par an, en été et pendant la période hivernale mais grâce aussi, nous l’espérons au bâtiment et à son jardin, situés en plein centre-ville historique ; ils ont été entièrement restaurés, redécorés dans le goût du XVIIIe aixois. Il y aura une grande librairie, un restaurant de 160 couverts, accessible sur l’extérieur avec une belle terrasse permettant des privatisations. C’est un pari d’entrepreneur culturel et, pour l’instant, nous tenons la date d’ouverture, fixée au 6 mai 2015, avec une grande exposition sur Canaletto.
Comment s’explique le succès des Carrières de Lumières aux Baux-de-Provence ?
C’est effectivement un succès avec près de 420 000 visiteurs reçus. Grâce au numérique et à quelque 100 vidéoprojecteurs pilotés par informatique, nous offrons une véritable immersion dans les œuvres d’art. Nous touchons ici un public différent, qui ne va sans doute pas dans les musées : des familles, des enfants qui peuvent courir en liberté. C’est une autre manière, très contemporaine et émotionnelle, de présenter la culture au plus grand nombre, et peut-être un point d’entrée pour les musées. Même les conservateurs sont séduits par le concept, découvrant eux-mêmes des détails dans les œuvres d’art. Nous avons déposé un brevet pour ce dispositif que nous appelons « Amiex » (Art & Music Immersive Experience), et recherchons des lieux en France et dans le monde pour le diffuser. Nous sommes sur une piste à Paris, dans une ancienne usine de 2000 m² située dans le centre et nous espérons faire l’annonce très prochainement de ce que nous dénommerons « L’Atelier de lumières ». Nous avons d’autres pistes ailleurs dans le monde, à Bruxelles, Berlin, Los Angeles…
Est-ce opportun de s’installer à Paris qui ne manque pas de lieux d’exposition ?
Je crois effectivement que Paris arrive à une saturation de l’offre d’expositions temporaires. Par ailleurs, j’ai le sentiment que la demande a un peu diminué du fait de la baisse du pouvoir d’achat des ménages et aussi par le manque depuis quelques années de grandes locomotives dans les expositions. La programmation est devenue très binaire, soit le sujet correspond au goût du moment et l’exposition marche très fort, soit elle est décalée et l’exposition ne marche pas du tout. Ensuite, compte tenu de la concurrence et du délai de préparation d’une exposition, toute coordination de la programmation entre établissements est impossible. Mais pour revenir à votre question, « L’Atelier de lumières » toucherait un public plus vaste, moins concerné par ce que je viens de décrire.
Mais si les thèmes des expositions à succès sont plus limités, comment Culturespaces va-t-il pouvoir continuer à obtenir des prêts pour monter de grandes expositions ?
On sent de manière latente une pression financière sur les prêts : des demandes de financement pour la restauration, l’obligation de souscrire à l’assurance du prêteur dont nous suspectons des rétrocessions au prêteur, jusqu’à des exigences explicites de « loan fees » (frais pour les prêts). La pression augmente car de nouveaux acteurs en Asie ou au Brésil sont disposés à offrir d’importantes contreparties pour avoir des œuvres. Mais il existe encore des résistances de la part des grands musées.
L’Institut de France a la chance de disposer au Musée Jacquemart-André d’une collection importante qui nous est demandée très régulièrement en prêt et que nous pouvons en quelque sorte échanger. Mais nous misons avant tout sur l’excellence du commissaire d’exposition, la qualité du propos scientifique, des conditions d’accueil des œuvres pour obtenir des prêts. Nous travaillons aussi beaucoup notre réseau de prêteurs dans les musées internationaux, c’est l’une des missions de Sophie Aurand, la directrice de la programmation culturelle.
Malgré tout, vos résultats financiers de 2013 ont été multipliés par cinq…
Il faut relativiser ces comptes. Nous avions fait une mauvaise année en 2012 (l’exposition « Le crépuscule des Pharaons » avait coûté très cher et avait séduit peu de visiteurs), et nous sommes revenus au niveau de 2011. En 2013, l’exposition « Eugène Boudin » a attiré un public nombreux pour un coût de production inférieur à la moyenne. Le coût des expositions est une variable très importante dans nos comptes d’exploitation, avec un facteur aléatoire très élevé. Notre modèle fonctionne sans subventions, mais au prix d’une gestion au cordeau, d’une excellence dans le service rendu à nos visiteurs et d’investissements en communication très élevés. Nous consacrons en effet près de 10 % de notre budget à la promotion de nos événements, une obligation dans le contexte concurrentiel. Nous disposons cependant de deux atouts : une expérience acquise depuis vingt ans avec une continuité dans le management et un savoir-faire que nous pouvons partager entre nos différents sites, réalisant ainsi des économies d’échelle.
Vous venez de clore le contrat pour l’exploitation du site de Waterloo, quels sont vos plans de développement ?
Nous avons préféré nous retirer du projet « Waterloo », car il est devenu trop complexe compte tenu du contexte belge, à court et moyen terme. Nous allons rester dans le périmètre actuel. Le développement exponentiel n’est pas envisageable, chaque nouveau site est très spécifique et requiert beaucoup de ressources nouvelles. On ne peut pas aller trop vite si on veut rester dans l’excellence. Il est aussi difficile de se développer à l’international, malgré notre implantation récente au Maroc pour laquelle nous avons de grands espoirs. Nous nous sommes rendu compte que les pays sont réticents à confier la gestion d’un site patrimonial à un étranger. En France même, nous constatons une baisse des demandes des collectivités locales pour des délégations de service public. Les élus pensent qu’ils peuvent administrer eux-mêmes les sites et on trouve encore cet antagonisme public/privé.
Quelle est l’ampleur des actions sociales de la Fondation Culturespaces ?
Nous voulons à travers cette Fondation aider les enfants en difficulté, qu’ils soient hospitalisés, handicapés ou inadaptés à entrer dans la culture. Cela nécessite un programme très individualisé, il ne suffit pas d’affréter un bus. Nous accueillons près de mille enfants chaque année dans nos sites. L’action de cette Fondation prolonge mon combat mené depuis plus de vingt ans avec Culturespaces pour la démocratisation culturelle. Et je pense que les nouvelles technologies vont nous permettre d’aller plus vite dans cette direction.
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Bruno Monnier : « Nous créons aujourd’hui nos propres sites »
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Bruno Monnier : « Nous créons aujourd’hui nos propres sites »