Anri Sala est toujours l’artiste de la scène française le plus exposé dans le monde. Le prix Marcel Duchamp
et la Biennale de Venise sont à la fois des révélateurs et des amplificateurs
L’Artindex France, fondé sur la renommée des artistes, ne réserve pour son édition 2014 aucune réelle surprise dans le haut du classement, et si quelques modulations sont sensibles, comme la progression de Cyprien Gaillard au rang 7 ( 10), les neuf autres artistes présents dans le Top 10 l’étaient déjà en 2013.
Pour la deuxième année consécutive, c’est donc l’artiste franco-albanais Anri Sala qui occupe le premier rang du classement (36e de l’Artindex Monde). Charismatique, soutenu par la critique, le jeune plasticien sonde tout en subtilité, à travers des dispositifs à éprouver, les relations entre son et image. Encore peu connu du grand public en France, nommé mais non lauréat du prix Marcel Duchamp en 2002, il a représenté la France en 2013 à la Biennale de Venise et profite d’une belle visibilité à travers de nombreuses expositions de musées, surtout à l’international (Canada, États-Unis, Allemagne).
Juste après Anri Sala, François Morellet, omniprésent ces dernières années (invité au Louvre en 2010, et au Centre Pompidou en 2011 avec sa rétrospective « Réinstallations »), totalise aujourd’hui le plus grand nombre d’expositions. Ce duo de tête illustre de manière exemplaire le tissu générationnel de l’ensemble du classement dans lequel se croisent les grandes figures « classiques » de l’art contemporain et des artistes émergents, parfois très jeunes, promus par les institutions et soutenus par les galeries.
La moitié des cent premiers artistes sont âgés de moins de 50 ans, mais les trois artistes qui succèdent à Anri Sala dans le classement sont nés avant 1946. Et même si François Morellet glisse de la troisième à la deuxième place, le solide trio Boltanski-Morellet-Buren reste inchangé. Cette stabilité confirme leur renommée en France et dans le monde, mais aussi leur présence coutumière dans les foires internationales ainsi que le soutien du marché de l’art à leur égard.
L’impact du prix Duchamp
Le prix Marcel Duchamp, créé en 2000 par l’Adiaf (l’Association pour la diffusion internationale de l’art français) en partenariat avec le Centre Pompidou, participe sensiblement, surtout sur le plan national, à la valorisation de la nouvelle génération d’artistes en tête du palmarès. Et comme ce prix ouvre les portes de l’Espace 315 du Centre Pompidou, il est un tremplin pour engager la rencontre des jeunes lauréats avec le public de cette grande institution. Il est aisé de relever des correspondances entre les lauréats du prix Marcel Duchamp et le classement de l’Artindex. Ainsi, le collectif néo-conceptuel Claire Fontaine, auto-déclaré « artiste ready-made », nettement soutenu depuis quelques années déjà (9e en 2012), comptait parmi les nommés pour le prix Duchamp en 2013 et accède aujourd’hui à la 4e place ; Latifa Echakhch, primée elle en 2013, passe du 44e rang au 21e rang, juste devant Saâdane Afif, lauréat en 2009. Très suivi, le trentenaire Mircea Cantor récompensé en 2011 et exposé en 2012 à Beaubourg, occupe la 9e place de l’Artindex 2014 ; quant à Cyprien Gaillard, impétrant en 2010, il se trouve propulsé à la 7e place juste derrière Sophie Calle.
En revanche, il est surprenant de constater que le duo d’artistes Dewar & Gicquel, prix Marcel Duchamp en 2012, et invité à plusieurs reprises à exposer ses audacieuses sculptures au Palais de Tokyo, ne figure encore qu’à la 69e place (147e en 2012). Leur actualité reste en effet principalement nationale. On remarque aussi la faible visibilité de l’artiste peintre Carole Benzaken, prix Duchamp en 2004, qui ne figure aujourd’hui qu’à la 556e place de ce classement (250e en 2013), alors que Mathieu Mercier, primé en 2003 reste très exposé.
Quant à Tatiana Trouvé, récompensée par le prix en 2007 et en 17e position, elle est aujourd’hui en lice pour représenter la France en 2015 à Venise avec le Niçois Céleste Boursier-Mougenot (61e), qui exposait dernièrement ses dispositifs programmatiques et poétiques aux Abattoirs de Toulouse (lire le JdA no 407, 14 février 2014).
Un gain de plus de 100 places pour Camille Henrot
L’influence des institutions est relative : si Philippe Parreno (10e), présenté en 2012 à la Fondation Beyeler à Bâle, a créé l’événement l’automne dernier en investissant le Palais de Tokyo avec son exposition-installation « Anywhere, anywhere out of the world », Marc Desgrandchamps, qui a pourtant bénéficié d’une belle rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2011, n’est classé que 177e.
L’ascendant de la triennale parisienne Monumenta et de la Biennale de Venise sur le classement est probable mais finalement peu lisible dans la mesure où les artistes invités jouissent déjà d’une certaine notoriété. Tel est le cas de Christian Boltanski (3e) et Daniel Buren (4e), qui ont tous deux créé des installations monumentales pour la nef du Grand Palais en 2010 et 2012. Incontournable, Boltanski a aussi représenté la France à la Biennale de Venise en 2011, à l’instar de Sophie Calle (6e) en 2007, d’Annette Messager (14e) en 2005. Quant à Pierre Huyghe (8e), et pavillon français en 2001, sa rétrospective à Pompidou l’année dernière n’a laissé personne indifférent. On notera cependant l’absence de Claude Lévêque de la tête du classement (40e), artiste peu exposé à l’international alors qu’il représentait la France en 2011 à Venise, et de Camille Henrot (63e) qui gagne quand même plus d’une centaine de places alors qu’elle reçoit en 2013 le Lion d’argent de la meilleure jeune artiste de la 55e Biennale de Venise. On pourrait également évoquer la portée du Turner Prize, remis l’an dernier à Laure Prouvost (100e), qui gagne 124 places alors que s’achève son exposition personnelle au New Museum de New York.
Par ailleurs, la parité n’est pas encore d’actualité dans le milieu de l’art contemporain ! On ne peut que déplorer la place toute relative des artistes femmes dans ce classement (six femmes seulement sur les cinquante premiers), qui témoigne de leur visibilité minorée sur la scène artistique alors même que les étudiantes sont majoritaires dans les écoles d’art. Sophie Calle est la seule femme cette année à figurer dans le Top 10 de l’Artindex France et la seule artiste française présente dans l’Artindex Monde.
Maghreb et post-conceptuel
À noter, la visibilité croissante de la jeune photographe franco-marocaine Yto Barrada, qui révèle aussi la reconnaissance des artistes français du Maghreb (forte progression de l’artiste marocain Mounir Fatmi qui interroge les mécanismes de l’autorité religieuse).
Ben Vautier, figure importante de Fluxus, est toujours bien placé (11e). Le prometteur Neïl Beloufa, 29 ans (48e), gagne une centaine de places et Dove Allouche (70e), photographe, graveur et dessinateur, bénéficie légitimement d’une très nette progression.
Étonnement boudé par les grands musées, Claude Viallat (112e), membre exemplaire de Supports-Surfaces, toujours bien défendu par le marché, reste exposé dans des espaces parfois modestes, en dehors du réseau institutionnel.
Enfin, il serait vain de vouloir repérer des courants. On relèvera toutefois la portée des pratiques post-conceptuelles toujours très tendance à travers des postures procédurales ou autoréflexives qui se réclament de Duchamp, le plaisir rétinien en plus et peut-être l’humour désinvolte en moins. Par ailleurs, des questionnements plus métaphysiques semblent de nouveau autorisés, parfois même auréolés de sacré. Les pratiques de l’installation avec la diversité des médiums prédominent, les expositions sont conçues elles-mêmes comme des œuvres ouvertes à éprouver au travers de cheminements qui conduisent à des expériences sensibles.
Anne Favier, PRAG à l’université de Saint-Étienne, spécialiste d’esthétique
Artindex est un classement fondé sur la réputation des artistes qui repose sur les expositions auxquelles ceux-ci participent. Les données sont fournies par notre partenaire Artfacts.net, dirigé par son fondateur Marek Claassen qui administre une base d’artistes, de lieux et d’expositions. Chaque exposition des artistes est créditée d’un certain nombre de points qui dépendent de l’importance des lieux, (qui peuvent être des musées, biennales ou galeries), mais aussi du format de l’exposition (collective ou individuelle) et de son ancienneté. Les coefficients de dépréciation des expositions passées ont été augmentés par rapport au classement précédent afin de valoriser les expositions récentes. Il se peut que des expositions ne soient pas enregistrées par Artfacts.net. Il est conseillé aux artistes et à leur galerie de les communiquer directement sur Internet à www.artfacts.net
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Artindex France 2014
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : Artindex France 2014