Livre

Beau livre

La sensibilité de Mantegna réhabilitée

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2014 - 733 mots

Dans un imposant ouvrage, l’universitaire italien Mauro Lucco retrace la carrière passionnante d’un artiste longtemps jugé, à tort, froid et impassible.

À la suite des volumes consacrés à Botticelli, Cimabue, Simone Martini, Michel-Ange ou Titien, les éditions Actes Sud continuent de s’intéresser aux artistes italiens avec la publication d’un beau livre dédié à Mantegna. La rédaction en a été confiée à Mauro Lucco, ancien professeur d’histoire de l’art à l’université de Bologne et auteur entre autres d’une monographie d’Antonello de Messine (2001, éditions Hazan).

Dès les premières lignes, sa sincérité déconcerte : « Je dirai en toute franchise que le présent volume ne propose ni ne défend une idée, une thèse ou une interprétation révolutionnaire. Il entend simplement raconter avec la plus grande clarté possible la vie de Mantegna et montrer la valeur de sa peinture, dans un langage qui soit accessible aussi au non-historien de l’art », annonce-t-il dans sa préface. Écartant de son propre aveu les discussions philologiques « trop subtiles » sur des travaux marginaux, les débats sur l’iconographie et la chronologie, les peintures à l’attribution controversée et celles qu’il juge non authentiques, Mauro Lucco propose son point de vue et son enquête sur l’œuvre de Mantegna. Ce ton très personnel ne gâche en rien la qualité du texte. Employant volontiers la première personne du singulier, il saupoudre son discours de petites considérations sur son apprentissage d’historien de l’art et entraîne le lecteur avec lui sur les chemins italiens des années 1960, qu’il parcourait adolescent à bicyclette à la découverte des peintures du maître. Ces années 1960 sont justement celles de la redécouverte de Mantegna. Objet d’une exposition à Mantoue en 1961, l’artiste renoue alors avec un public qui l’avait boudé durant toute la première moitié du XXe siècle. Complice de ce désamour, l’historien de l’art Roberto Longhi jugeait notamment le peintre sans âme, manquant de chaleur et de sentiment, tout juste bon à peindre des « trompe-l’œil minéraux » dans des palais de marbre : Mantegna, un artiste ? Un érudit certes, mais certainement pas un passionné.

Une réputation injustifiée
Les deux premières parties du livre, consacrées à Padoue, permettent de mieux comprendre ce qui lui valut cette réputation. Mantegna naît vers 1431 dans cette ville, alors considérée comme plus ancienne que Rome et très attachée à son passé mythique. Il étudie dans l’atelier de Squarcione, artiste qui a visité la Grèce, sillonné l’Italie, et qui accumule dans sa collection statues antiques, gravures, pierres fines et monnaies sur lesquelles il base son enseignement. À son contact et à celui des antiquari, ces collectionneurs de vestiges antiques, Mantegna cultive son talent pour la peinture en même temps que son érudition archéologique, celle-là même qui fut longtemps jugée stérile. À la faveur d’un court séjour à Ferrare, il découvre un triptyque de Rogier Van der Weyden : ainsi s’opère la rencontre fondamentale entre peinture du Nord et du Sud, entre la culture antique de l’artiste italien et la manière précise du Flamand. Des photographies d’avant-guerre ressuscitent des œuvres de cette période malheureusement disparues, telle la chapelle Ovetari dans l’église des Eremitani à Padoue, dont les bombardements de 1944 ont réduit les fresques en poussière. Avant son départ pour Mantoue, Mantegna réalise un autre chef-d’œuvre de la peinture italienne, le retable San Zeno pour le monastère du même nom à Vérone. Reproduit avec les panneaux aujourd’hui dispersés de sa prédelle, ce dernier offre un condensé de l’art du maître. Les détails permettent d’admirer la précision de la touche, la rigueur des citations archéologiques et la beauté du décor architectural, qui unissent les trois scènes de façon nouvelle. Sa carrière mène ensuite le peintre à la cour des Gonzague, au service desquels il reste pendant 50 ans. Il réalise pour eux la fameuse Camera picta (ou Chambre des époux) du palais ducal de Mantoue avec son plafond en trompe-l’œil, véritable petit miracle illusionniste ouvert en son centre sur un ciel bleu par un oculus plus vrai que nature, où s’accoudent angelots et nobles dames.

On découvre au fil du livre un Mantegna peintre, enlumineur et graveur, gérant ses droits de reproduction de façon très ferme. Et si toute sa vie il poursuit ses recherches formelles audacieuses, la tendresse de certaines de ses Vierges et la douleur poignante de Jean et de Madeleine dans son fameux Christ mort (Pinacothèque de Brera, Milan), démentent une fois pour toutes l’image univoque de froideur du peintre padouan.

Mantegna

Mauro Lucco, trad. Anne Guglielmetti, Éditions Actes Sud, 2014, 384 pages, 140 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : La sensibilité de Mantegna réhabilitée

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