Château

Penone ou l’élégance des fausses évidences

Giuseppe Penone s’enracine au château de Versailles

Très à son aise à Versailles, l’artiste italien y a installé une série d’œuvres raffinées où sont magistralement en jeu les liens entre corporel et naturel

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2013 - 697 mots

Les installations de l’artiste italien pionnier de l’Arte povera s’imposent naturellement à l’intérieur du château de Versailles et dans le parc du domaine. Giuseppe Penone s’est approprié les lieux avec des propositions aussi justes que faussement évidentes.

VERSAILLES - Lors de sa nomination à la présidence de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, Catherine Pégard s’était interrogée sur la poursuite de la promotion de l’art contemporain en ces lieux, politique lancée par son prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon. Il est probable que la décision d’y inviter Giuseppe Penone n’a pas dû être intellectuellement trop difficile à prendre, tant l’artiste italien faisait sur le papier un candidat on ne peut plus parfait, lui dont tout l’œuvre se nourrit d’une mise en jeu perpétuelle de la nature et de ses composantes. Force est de constater aujourd’hui qu’en effet, il s’y trouve plus qu’à son aise.
Tout d’abord, l’artiste italien est parvenu à merveille à s’approprier le site dans ses diverses dimensions et à émettre une proposition juste, intervenant sans emphase ni discrétion ostensible. Choisissant quelques salles du château, les moins chargées en décor, il y a installé notamment une version de Respirer l’ombre, où, sur des murs couverts de feuilles de thé, des masques en bronze aux contours végétaux voient, comme un souffle, sortir de fins branchages de leur bouche. Dans cette analogie corps/nature, fondatrice d’une bonne part de sa démarche, la diffusion du souffle pourrait aisément être assimilée à l’acte créatif lui-même.

Aspect mimétique
À l’extérieur, Penone a bien entendu joué avec l’axe principal filant depuis le château vers le Grand Canal, posant Espace de lumière (2008) en préambule d’une suite de travaux, soit huit troncs évidés en bronze et à la taille décroissante placés à l’horizontale sur leurs branches. Leur intérieur est recouvert d’or, manière de marquer on ne peut plus clairement la perspective et d’indiquer ce qui va s’y jouer. Surtout, l’artiste est parvenu à sortir de cette évidence du site en ménageant une surprise de taille qui fait presque acte de révélation. Il s’est emparé de manière inattendue d’une clairière, le bosquet de l’Étoile, dans laquelle sont venues s’inscrire sept pièces de manière circulaire. Presque toutes sont des arbres où des pierres, massives, semblent avoir remplacé des fruits à des emplacements incongrus. Tandis qu’Élévation (2011) – un tronc posé sur de fins supports – semble en lévitation, Équilibriste-chêne (2010) se focalise sur l’équilibre avec une branche transversale qui logiquement ne devrait pas se tenir là. L’usage récurrent du bronze pour fabriquer ces arbres s’impose du fait de l’aspect mimétique que la matière entretient avec le végétal, de même que, à l’inverse, le bois est nécessaire dans l’accomplissement de sa fusion.
Car formidable est chez Penone, au-delà de ces jeux assumés d’analogies et de ressemblances qui parcourent l’intégralité de son travail, cette volonté manifeste de dépasser les évidences, de les contrarier. Au point parfois de laisser le regard se perdre entre forces contraires de la construction et de la destruction, comme c’est le cas dans Entre écorce et écorce (2003), monumental tronc de chêne… en bronze, scindé en deux moitiés dans sa hauteur et renfermant en son intérieur un véritable frêne en pleine croissance ; une œuvre qui peut rappeler la tempête de 1999 qui avait fortement marqué les lieux. Mais c’est lorsqu’il se rapproche du corps que l’artiste se fait finalement le plus incisif, sans jamais perdre de son raffinement. En témoignent quelques magnifiques pièces en marbre de Carrare, en particulier un tapis (Sceau, 2012) se déroulant (ou s’enroulant) dans l’axe des bassins et qui, dans ce mouvement, semble emporter sa peau. S’y révélent au passage de complexes ramifications qui ne sont pas sans évoquer un réseau sanguin, à moins qu’il ne s’agisse d’un système racinaire…, voire des deux ! De fausses évidences en effet, qui toujours semblent rendre vivante la matière inerte et entraîner le regard vers un inconnu. C’est lorsque l’œil perd vraiment pied que l’expérience est la plus intense.

PENONE VERSAILLES

Jusqu’au 30 octobre, jardin et château de Versailles, tél. 01 30 83 78 00, www.chateau versailles.fr, tlj sauf lundi 9h-18h30. Catalogue à paraître.

Commissaire : Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne

Nombre d’œuvres : 17

Giuseppe Penone, Tra scorza e scorza (Entre écorce et écorce), 2003, bronze et frêne, 950 x 430 x 280 cm. © Tadzio.

Giuseppe Penone, Spazio di luce (Espace de lumière), 2008, bronze et or, 8 éléments, 250 x 2000 x 180 cm. © Tadzio.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Giuseppe Penone s’enracine au château de Versailles

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