PARIS
Nicolas Bourriaud, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, dresse un premier bilan de son action.
L’ancien codirecteur du Palais de Tokyo de 1999 à 2006, a été conservateur en charge de l’art contemporain à la Tate Britain, puis chef de l’Inspection à la création artistique au ministère de la Culture avant de prendre la direction de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Ensba). Près de dix-huit mois après son arrivée, Nicolas Bourriaud (48 ans) dresse un premier bilan de son action.
Quelles étaient vos priorités en prenant vos fonctions en novembre 2011, et les avez-vous modifiées en cours de route ?
Ma principale priorité, et qui le reste, était de mieux coordonner et faire travailler ensemble les différentes composantes de l’Ensba. C’est une école qui, en plus de délivrer un enseignement, a la particularité d’occuper un site historique, d’avoir une collection, des conservateurs, une maison d’édition intégrée, et d’organiser des expositions. Ces composantes avaient du mal à travailler ensemble et à former un tout. Je m’appuie au contraire sur ces singularités pour bâtir un nouveau modèle d’école, qui utilisera les expositions comme un vecteur d’enseignement, comme cela se pratique au Portikus de l’école de Francfort ou à la Villa Arson à Nice. C’est une réforme de fond qui entraîne aussi une politique d’ouverture vers le public et les professionnels de l’art.
L’école est à la quinzième position des écoles d’art dans le monde selon le cabinet Roland Berger. Vous êtes-vous donné un objectif de remonter dans le classement ?
Ce n’est pas un mauvais classement, mais nous valons encore mieux ! Nous avons les atouts nécessaires pour devenir la plus grande école européenne : des bâtiments prestigieux en plein centre de Paris, le Palais des beaux-arts avec 1 000 m² d’exposition, les collections, le site de Saint-Ouen…
Frédéric Jousset, le président de l’Ensba, pointait dans ces colonnes le handicap que constituait l’absence de cours en anglais pour attirer les étudiants étrangers. Qu’allez-vous faire en ce domaine ?
Ce n’est pas tout à fait exact ; certains professeurs d’atelier comme Kawamata ou James Rielly dispensent leur enseignement en anglais. Et puis ce type de pédagogie n’est pas centré sur le verbe. Mais il est certain qu’il faudra aller vers davantage de cours en anglais, notamment pour les enseignements théoriques. Le problème se pose surtout pour le concours d’entrée et particulièrement pour l’épreuve écrite. Nous réfléchissons à mettre en place d’ici deux ans des épreuves dans d’autres langues. Nous accueillons cependant 50 à 60 étudiants étrangers chaque année.
Quelles modifications avez-vous apporté à la pédagogie ?
Peu, car le schéma pédagogique de l’école fonctionne plutôt bien. C’est un triangle avec, à la base, les enseignements théoriques et historiques, puis les enseignements techniques, et enfin la relation avec le chef d’atelier, une spécificité ancienne qui permet de résister à la normalisation universitaire. C’est pour cela, soit dit en passant, que l’avenir des écoles d’art est de rester dans le giron du ministère de la Culture. Nous sommes le dernier endroit du monde de l’art dans lequel il n’y a pas de pression du marché, où l’œuvre d’art est uniquement considérée comme un objet d’étude et de réflexion.
En quoi le couplage école et centre d’art est-il important ?
Une exposition dans un centre d’art interne entraîne de nombreuses interrelations : des ateliers avec les étudiants, des conférences… Cela fait aussi venir du public à l’école, c’est un vecteur de visibilité. C’est aussi un outil d’insertion des étudiants dans la vie professionnelle. Une école d’art ne peut plus être un simple lieu de délivrance de cours. Mais attention, il ne s’agit pas de faire la même chose que les centres d’art existant, ce serait absurde. La formule de programmation du Palais des beaux-arts, qui a retrouvé son nom d’origine, ne ressemble à rien de connu. Lors de chaque saison, et il y en aura trois par an, on retrouvera les mêmes quatre rubriques sous une thématique commune : un aperçu de nos collections, un espace réservé à nos étudiants et diplômés, une exposition collective d’art contemporain et une exposition monographique présentant un artiste méconnu, comme Glauco Rodrigues en ce moment.
Vous voulez que l’Ensba soit le « premier agent de vos artistes », comment comptez-vous procéder ?
Nous canalisons nos efforts sur les étudiants de 5e année et les diplômés, que nous garderons en ligne de mire pendant environ cinq ans. À l’école bien sûr, dans cet espace du Palais des beaux-arts baptisé « le Belvédère », mais aussi avec d’autres centres d’art, fondations et entreprises avec lesquels nous signons des conventions. Nous avons créé un poste inédit : celui de « curateur d’école », qui nous permet de mieux les accompagner. Pour tous les étudiants, nous organisons chaque semaine des conférences où interviennent des professionnels du marché de l’art afin de préparer ceux qui le souhaitent aux aspects concrets du marché.
Vous souhaitez également reprendre l’enrichissement des collections d’élèves, arrêté après mai 1968. Où en êtes-vous ?
Nous souhaitons en effet acquérir à titre gracieux une trentaine d’œuvres de nos diplômés chaque année, et constituer ainsi un témoignage des premières œuvres. Beaucoup de nos anciens sont devenus de grands artistes internationaux, de Neil Beloufa à Isabelle Cornaro, de Farah Atassi à Laurent Grasso… Nous prenons contact avec eux individuellement, et c’est la commission des acquisitions qui statue.
Les collections de l’Ensba sont-elles menacées par d’éventuelles crues de la Seine ?
Non, car sa quasi-totalité est stockée dans des entrepôts à Saint-Denis. Notre collection de dessin, la deuxième après celle du Louvre, est également à l’abri. Nous avons procédé à ce jour à près de 80 % du récolement de cette collection. En revanche nos 70 000 tirages photographiques sont actuellement conservés à l’école. Nous envisageons l’extension de 1 000 à 3 000 m² du site de Saint-Ouen pour y transférer cette collection et lui donner davantage de visibilité. Nous souhaiterions aussi déménager une partie des copies encore présentes sur le site, mais nous n’avons pas encore trouvé la solution. Car si nous n’avons pas encore de problème de place pour nos activités d’enseignement, nous allons en avoir besoin pour nos projets de développement.
Avez-vous évalué le coût total des travaux de rénovation de tout le site parisien ?
Nous venons de finaliser notre schéma directeur pour les prochaines années, et son coût est en cours d’évaluation. Outre la vague de travaux de mise aux normes électriques – financée par notre fonds de roulement –, et d’accès aux handicapés que nous allons démarrer cet été, nous sommes en passe de signer avec un mécène étranger pour financer la réhabilitation de l’amphithéâtre d’honneur. Il nous faut maintenant envisager avec nos tutelles le financement de ce schéma directeur.
Justement, la dotation publique de l’État a-t-elle baissé ?
Dans un contexte difficile, notre dotation (7 millions d’euros) n’a baissé en 2013 que de 300 000 euros en fonctionnement, mais nous avons pu dégager des ressources propres pour compenser cette baisse. Cela rend donc encore plus nécessaire le recours aux recettes commerciales que j’ai réussi à faire passer de 2 à 3 millions d’euros, grâce notamment à un accord d’exclusivité avec la Maison Lanvin et des partenariats avec Nespresso, l’Institut culturel Bernard Magrez et Neuflize. J’ai recréé le poste de responsable du mécénat qui avait disparu.
Parmi les nouvelles recettes, il avait été évoqué la mise en place de sessions d’été payantes pour étudiants étrangers ?
Cela viendra. Je souhaite d’abord travailler sur l’image de l’école et monter des partenariats internationaux avant de commercialiser de tels enseignements. Il est plus urgent de développer notre offre de troisième cycle, grâce à l’opportunité que nous ouvre notre appartenance au regroupement PSL (Paris Sciences & Lettres), avec lequel nous venons d’ouvrir un programme doctoral intitulé SACRe (Sciences, Arts, Création, Recherche). Nous travaillons par ailleurs sur un post-diplôme de pointe, nomade et international, en collaboration avec des institutions artistiques étrangères, qui devrait ouvrir en 2014.
Nicolas Bourriaud - © Ensba.
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Nicolas Bourriaud : « L’Ensba a les atouts pour être la plus grande école européenne »
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°392 du 24 mai 2013, avec le titre suivant : Nicolas Bourriaud : « L’Ensba a les atouts pour être la plus grande école européenne »