Art contemporain

Années 1960

L’Arte povera hors contexte

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2012 - 731 mots

Au Kunstmuseum de Bâle, une exposition consacrée au mouvement italien manque singulièrement de pertinence, en dépit de la qualité des œuvres.

BÂLE - Joindre l’inutile à l’agréable, c’est un peu la sensation qui étreint le visiteur à la visite de l’exposition que consacre cet automne le Kunstmuseum de Bâle au mouvement italien de l’Arte povera. Agréable car la qualité des œuvres y est pour la majorité d’entre elles remarquable, même si l’accrochage parfois manque de souffle. Inutile car l’intérêt d’une telle exposition aujourd’hui, qui plus est titrée « Arte Povera. The Great Awakening » (littéralement « Le grand réveil », traduit ici par « Une révolution artistique »), semble inexistant. Le titre justement, relativement ronflant, pourrait laisser présager de la découverte d’un mouvement majeur… que le monde entier connaît dans ses larges contours – voire dans ses détails pour les mieux informés – et dont tous les protagonistes ont déjà eu l’honneur des plus grands musées du monde.

Cela ne signifie bien évidemment pas qu’il est illégitime de les montrer encore. Mais venant après une année 2011 qui a vu l’Italie tout entière – Rome, Turin, Naples, Bari, Milan, Bologne – se parer dans ses plus grandes institutions d’une série d’expositions en forme d’hommage organisée par Germano Celant, l’homme qui s’attela à théoriser le mouvement en 1967, le tout apparaît pour le moins comme un enfoncement de portes ouvertes dont la pertinence reste à démontrer. D’autant que la lecture qui en est proposée n’a rien de novatrice ni ne bouscule aucun schéma établi.

Provenance unique
Le morceau de bravoure de l’accrochage tient dans la première salle. Quoique très chargée, elle rend merveilleusement justice à la formidable énergie novatrice de ces figures qui, à la fin des années 1960, apparaissaient encore dispersées, et constitue un condensé de leurs préoccupations. Les matériaux et pratiques traditionnels sont défiés ; la peinture notamment, que Luciano Fabro commence à détacher du mur en laissant pendre des draps hors du châssis, telle une continuité de la toile restée vierge (Three Ways of Arranging Sheets, 1968), ou que Giulio Paolini résume à deux panneaux de contreplaqué superposés (Sans titre, 1964). La politique et la résistance à l’ordre donnent de la voix dans des œuvres de Jannis Kounellis ou de Giovanni Anselmo (ainsi de la torsion d’un morceau de tissu pris dans un bloc de béton : Torsione, 1969). Les énergies trouvent de nouveaux modes de circulation, en témoigne un imperméable de Mario Merz partiellement recouvert de cire et traversé de tubes de néon (Raincoat, 1966).

La suite se montre plus convenue, enchaînant les problématiques soulevées par les divers protagonistes : les énergies (Gilberto Zorio, Emilio Prini) auxquelles une nouvelle salle est ici consacrée avant le politique encore et l’évocation des difficultés italiennes (Fabro…) ; les liens entretenus avec la nature et les tensions entre nature et culture (Penone, Paolini…) ; la prise en considération de l’histoire et du temps long dans la définition d’une identité (Pistoletto, Merz)… Rien de très nouveau sous le soleil donc !

L’ensemble permet un survol de l’Arte povera où est dit l’essentiel, mais qui se trouve contraint par le cadre même de son organisation, toutes les œuvres sans exception provenant de la Collection Goetz, ce qui empêche de regarder ailleurs. Ancienne galeriste brièvement établie à Zurich en 1972, Ingvild Goetz a poursuivi ses activités à Munich jusqu’en 1984 avant de s’atteler à la constitution d’une collection de renommée internationale, qui a trouvé un écrin dans un bâtiment conçu par Herzog & de Meuron et inauguré en 1992. Or, à l’exception de quelques travaux de Kounellis acquis à la fin des années 1970, les œuvres de l’Arte povera l’ont été massivement au cours de la seconde moitié des années 1990, et tout particulièrement en 1995 et 1996. Si cela ne retire rien à leur intérêt ni à celui certainement de longue date porté par Ingvild Goetz au courant italien, nous ne sommes pas en présence d’une collection ancienne et visionnaire, qui aurait pu être un élément de justification de cette exposition. Par quel bout qu’on le prenne ce choix de programmation reste intrigant, mais pas nécessairement dans le bon sens du terme !

ARTE POVERA. THE GREAT AWAKENING

Jusqu’au 3 février, Kunstmuseum Basel, St. Alban-Graben 8, Bâle, tél. 41 61 206 62 62, www.kunstmuseumbasel.ch, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, éd. Hatje Cantz, 144 p., en anglais et en allemand, 45 CHF (env. 37 €).

- Nombre d’œuvres : environ 100
- Commissaire : Bernhard Mendes Bürgi, directeur du Kunstmuseum

Voir la fiche de l'exposition : Arte Povera - Une révolution artistique. Boetti, Kounellis, Merz, Pistoletto de la collection Goetz

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : L’Arte povera hors contexte

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