Officiellement en cours de réhabilitation pour une inauguration en 2014, la Piscine Molitor, propriété de la Ville de Paris située dans le 16e arrondissement, est, en réalité, en passe d’être détruite. Le combat mené dix années durant par les défenseurs du patrimoine pour sauver cet édifice inscrit au titre des monuments historiques n’a pas porté ses fruits.
PARIS - Elle était l’une des plus belles piscines publiques de Paris, comme les piscines Pontoise et Pailleron, elles aussi signées par l’architecte Lucien Pollet, avec ses deux bassins bordés de coursives de style paquebot, l’un d’hiver, l’autre d’été, long de 50 m et transformable en patinoire l’hiver. Après des années de tergiversation et une première tentative de démolition avortée sous la mandature de Jacques Chirac (RPR) à la mairie de Paris, ce fleuron de l’Art déco, propriété municipale, est en train de disparaître sous les coups de butoir des pelleteuses. Officiellement, l’édifice est en cours de réhabilitation – et non de restauration – et pourra rouvrir en 2014. Pourtant, si la dizaine d’années de combat mené par les défenseurs du patrimoine a permis d’alerter sur la situation, le résultat est bien décevant. Les trois quarts de ce site, implanté sur un terrain stratégique, un îlot localisé Porte d’Auteuil, entre les serres d’Auteuil et le stade Jean Bouin – en cours de reconstruction sous la houlette de Rudy Ricciotti –, sont déjà démolis. Les images sont éloquentes, tel ce fragment de façade sud (photo ci-contre), côté Jean Bouin, étayé et réduit à une peau de chagrin vouée à être intégrée dans une élévation relevant du pur « façadisme ». Malgré l’inscription au titre des monuments historiques de la piscine, il s’agit aujourd’hui de l’un de ses rares vestiges, avec la rotonde et la façade d’entrée, dissimulées derrières des « algeco ». Officiellement, les structures auraient été trop altérées pour être restaurées. L’abandon de la piscine pendant plus de vingt ans aura facilité ce diagnostic contestable. Car « l’affaire Molitor » est ancienne.
Un périple ponctué de rebondissements
En 1989, la mairie de Paris décide de la fermeture de l’établissement, pourtant encore très fréquenté. Pourquoi ? Un projet de cession à un promoteur pour y construire un complexe hôtelier est dans les tuyaux. La mobilisation des associations le fera échouer : en 1990, l’édifice est inscrit au titre des monuments historiques. Plus tard, le permis de construire sera refusé. La municipalité va alors jouer le pourrissement, laissant l’édifice se dégrader, inexorablement. En 2001, le candidat Bertrand Delanoë (PS) s’engage à restaurer l’édifice s’il est élu maire de Paris. Mais les choses vont prendre une autre tournure. Alors qu’un comité consultatif de concertation est créé, une expertise confirme l’état de délabrement avancé du complexe sportif. L’architecte Jean-Paul Philippon, connu pour avoir réussi la transformation de la Piscine de Roubaix en musée, remet en 2006 un rapport insistant sur la nécessité de restaurer la rotonde, le bâtiment du restaurant, le tympan d’entrée doté d’un vitrail de Louis Barillet, les autres parties devant être restituées à l’identique. Dès 2007, la mairie de Paris annonce toutefois qu’elle change de stratégie : la rénovation sera confiée à un opérateur privé par le biais d’un bail emphytéotique de longue durée (54 ans). En 2008, c’est la proposition de Colony Capital, qui œuvre également au Parc des Princes, en association avec Accor et Bouygues, qui est retenue. Plus question, désormais, d’un grand complexe sportif public : le nouveau projet, s’il prévoit d’ouvrir le bassin d’hiver au public, privatise très largement le site, converti en hôtel de luxe avec thalassothérapie et restaurant bordant un bassin d’été flambant neuf. Confié à une équipe constituée des architectes Alain Derbesse, Jacques Rougerie, spécialiste des équipements aquatiques, et Alain-Charles Perrot, par ailleurs architecte en chef des monuments historiques chargé notamment de la restauration controversée de l’Hôtel Lambert, le projet – censé respecter les préconisations de Jean-Paul Philippon – prend de nombreuses libertés avec l’architecture de Lucien Pollet, un anneau vitré venant couronner l’ensemble. « Seule la façade du côté du stade Jean Bouin sera préservée. Et des éléments patrimoniaux de la piscine, telles les balustrades en métal vert, seront présents dans le nouvel édifice, explique ainsi la mairie de Paris dans ses documents de communication. Des échantillons de portes de cabines ou de vitraux ont aussi été prélevés, comme témoignages du bâtiment dessiné par l’architecte Lucien Pollet. Ils serviront aux artisans pour reproduire des éléments Art déco au sein du nouveau Molitor, qui retrouvera l’esprit des origines ». Pollet façon puzzle : il est permis de douter du caractère patrimonial de l’opération.
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La Piscine Molitor sacrifiée
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Abonnez-vous dès 1 €Les travaux de réhabilitation de la piscine Molitor, dans le 16e arrondissement de Paris. © Photo Sophie Flouquet
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : La Piscine Molitor sacrifiée