Galerie

Entretien

Olivier Antoine, directeur de la galerie d’art contemporain Art : Concept

« Le rôle de l’art est de laisser entrevoir une pensée »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2006 - 812 mots

PARIS

Alors que beaucoup de galeries françaises se plaignent d’avoir été exclues de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), vous avez préféré cette année participer à Art Forum à Berlin. Pourquoi un tel choix ?
Structurellement, la FIAC n’a pas évolué depuis quinze ans, les murs des stands ne sont pas optimisés et il n’y a pas d’aire de repos. Les galeries, comme le public, sont traitées comme du bétail ! Reed [la société organisatrice de la FIAC] veut rentabiliser au sol et au mur, alors que toutes les autres foires cherchent une qualité dans la prestation. En plus, à la FIAC, on doit cravacher pour vendre à nos clients parisiens. J’ai choisi Berlin pour l’aventure. La foire est moins chère et la liste des galeries d’un autre niveau.

Whitney Bedford, que vous exposez jusqu’au 14 octobre, est entrée dans les collections de Charles Saatchi. L’onction de ce collectionneur-marchand n’est-elle pas à double tranchant ?
C’est dangereux, car on vend à quelqu’un qui peut agir du jour au lendemain sur le marché de l’artiste. On dépend de son bon vouloir, mais en même temps c’est une vitrine énorme. Quand on dit que Saatchi a acheté et montré ces œuvres dans « The Triumph of Painting », cela rassure.

Votre programmation, jusque-là resserrée sur peu d’artistes, tend à s’ouvrir de plus en plus. Pourquoi cette nouvelle stratégie ?
Aujourd’hui, je constate deux types de stratégie : avoir peu d’artistes et se concentrer sur des pièces importantes et spectaculaires, ou en avoir beaucoup, et diffuser en continu une pensée. Il est vrai, cela fait davantage boutique ! J’ai toujours voulu travailler avec peu d’artistes pour m’en occuper réellement. Mais les choses changent. Je ne suis plus seul à les défendre et je peux déléguer [une partie de ce travail] à des galeries qui souhaitent les inviter à exposer. Je sens aussi que les collectionneurs attendent de moi que je propose des choses nouvelles plus souvent. J’ai douze à quatorze artistes. Dans ce vivier, un client apprécie peut-être quatre artistes. S’il achète des pièces tous les deux mois, rapidement, sur un an, il aura fait le tour. Si je ne lui propose pas autre chose, il ira voir ailleurs. Il est temps de ne pas s’enfoncer. C’est la raison pour laquelle je vais prochainement intégrer huit nouveaux artistes.

Est-ce à dire qu’une galerie doit s’adapter aux nouveaux modes de « consommation » des collectionneurs ?
Je suis responsable de ma relation avec le public et je ne peux pas éviter de présenter un nouvel artiste si j’en pressens l’importance. Est-ce que je tombe pour autant dans la consommation ? Je ne le crois pas. C’est, au contraire, le moyen d’affirmer des choix esthétiques qui se sont dessinés depuis l’ouverture de la galerie. Il faut cesser d’être naïf. Nous sommes dans une économie capitaliste, et cela s’applique à tous les niveaux. Choisir une autre posture serait une voie de garage. J’ai mis des années à digérer cette idée, mais il ne faut pas se leurrer. Pour rester performant, je dois aller de l’avant, tant que cela reste dans les limites intellectuelles que je me suis fixées.

Malgré ces propos cyniques, beaucoup de vos artistes jouent sur des registres qui ne sont pas ceux de la consommation immédiate…
Je ne suis pas trop un marchand, je vends des idées et des univers, des espaces de pensée. Effectivement, j’aime travailler avec des artistes en marge de ce système. Les œuvres de Michel Blazy ne rentrent pas dans le moule actuel des magazines de mode. La masse d’images déviantes que Jean-Luc Blanc constitue dans le temps est aussi à l’antithèse des images belles et lisses que l’on voit aujourd’hui. Philippe Perrot me fait quant à lui penser au coup de tête de Zidane. Il sait qu’il est bon et il se fiche du marché. Il travaille lentement, produit peu. Il a confiance dans sa peinture et cela mettra le temps qu’il faut. Enfin, le geste effacé de Gedi Siboni sur « Art Unlimited » [lors de la dernière foire de Bâle] était presque dada. Il montrait que le vrai rôle de l’art, c’est de laisser entrevoir une pensée. Mais pour permettre à ma structure de soutenir ces artistes hors norme, j’en ai besoin d’autres plus productifs, plus relationnels. J’essaye d’équilibrer entre une économie qui me dépasse, et dont je suis le pantin, et des propositions dont je suis le maître. Esthétiquement, la galerie est très ouverte, mais sur le fond, le socle de pensée reste le même.

Pour accueillir tous vos nouveaux artistes, vous devez vous agrandir. Allez-vous quitter le 13e ?
J’espère trouver avant l’année prochaine un second espace dans le Marais. Certains ont une antenne entre Paris et Miami, moi ce sera entre le 13e et le 3e arrondissement ! Avec d’autres enseignes, nous réfléchissons aussi à la création d’un complexe de galeries dans un autre arrondissement parisien.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°242 du 8 septembre 2006, avec le titre suivant : Olivier Antoine, directeur de la galerie d’art contemporain Art : Concept

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