L’ancien directeur du Musée des monuments français, Guy Cogeval, a pris ses distances avec la France en dirigeant le Musée des beaux-arts de Montréal. Portrait d’un conservateur surprenant, libéral et libertaire.
« Quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. » Cet intertitre du Nosferatu (1922) de Murnau, que Guy Cogeval répète à l’envi, trahit sa personnalité. Le directeur du Musée des beaux-arts de Montréal fut sans doute hanté par des démons, et tenté de franchir la ligne jaune, lui qui, d’après ses familiers, brûlait la chandelle par les deux bouts. « C’est l’une des personnes les plus inattendues, inédites, intempestives, dans l’univers des conservateurs », observe Dominique Païni, ex-directeur de la Fondation Maeght. De ses origines piémontaises lui vient son caractère têtu et autoritaire. « Il faut être fort avec lui, car il n’aime pas les faibles », souligne un proche. Ses détracteurs le décrivent comme un personnage limite, égocentrique, rescapé d’un roman noir d’Edgar Poe ou des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly. « Il est brillant, ne veut pas se conformer, et c’est ce qui dérange, défend son amie Marie-Paule Vial, directrice des musées de Marseille. Il a une tête rousse qui dépasse de la mêlée. » Homme du XIXe siècle à l’aise dans le XXIe, amateur d’opéra et de techno, Cogeval cumule le bagage classique des « humanités » et une maîtrise des enjeux contemporains. Aimant les dérives chez les artistes, le maniérisme plus que Raphaël, le symbolisme et même le kitsch, il savoure les excès. « Il peut basculer de deux manières ; dans le sens le plus débridé, ça peut aller jusqu’à la farce avec les fêtes incroyables qu’il donnait, rappelle l’architecte Jean-François Bodin. D’un autre côté, il peut entrer dans un conflit violent et y mettre la même énergie et détermination que dans son travail. »
L’homme rencontré à Montréal a remisé son indocilité. Après une course perpétuelle en avant, sa vie paraît apaisée. Rescapé depuis deux ans d’un cancer, Guy Cogeval semble moins intempestif, malgré quelques échappées cassantes ou lyriques. Don Juan aurait-il trouvé son commandeur ? Peut-être. Mais surtout, Montréal se prête moins que Paris aux luttes de territoires. Guy Cogeval y est respecté, mieux aimé. « Guy est un collègue idéal, confirme Marc Mayer, directeur du Musée d’art contemporain de Montréal. Nous sommes dans une complicité et non dans une concurrence. »
Conservateur enthousiaste
Directeur d’un musée privé, Guy Cogeval relève pourtant d’une génération de conservateurs peu formés à un esprit gestionnaire. C’est sans doute dans ses premières études d’économie et de sciences politiques que ce keynésien puise son habileté de « patron ». Après un séjour à la Villa Médicis à Rome, Guy Cogeval fait ses gammes au Musée d’Orsay, puis au service
culturel du Musée du Louvre, à Paris, et au Musée des beaux-arts de Lyon. En 1992, le voilà nommé à la tête du Musée des monuments français, à Paris, « un entonnoir pour des gens dont on ne voulait pas ». « Guy était blessé par le fait que ce musée, et son histoire, soient déconsidérés, souligne Frédéric d’Assas, conservateur au Musée du Louvre. Il reproche à l’administration de ne pas savoir redonner une valeur aux institutions. » N’être ni chartiste ni médiéviste expose Guy Cogeval aux griefs de certains confrères. Malgré les forces d’inertie, il secouera la poussiéreuse endormie avec d’ambitieuses expositions, notamment « Architecture de la Renaissance italienne, de Brunelleschi à Michel-Ange ». « Guy a eu le mérite de faire vivre cette collection qui avait perdu de son intérêt pour des raisons qui tiennent à l’air du temps, souligne Dominique de Font-Réaulx, conservatrice au Musée d’Orsay. Il a une qualité qui n’est pas fréquente chez les conservateurs : l’enthousiasme. Un projet un peu plat prend tout de suite du relief avec lui. » Guy Cogeval s’était assuré les services d’une équipe dévouée, en recrutant notamment ses anciens élèves de l’École du Louvre. L’insertion du Musée des monuments français dans un réseau d’institutions internationales est aussi à porter à son crédit. Le changement gouvernemental et un incendie ravageur en juillet 1997 signeront toutefois son départ. Son projet de refonte, voué à faire du musée la locomotive d’une Mecque du patrimoine voulue par Jacques Toubon, ne colle pas avec la Cité de l’architecture souhaitée par le nouveau ministère. « Guy avait l’oreille et l’appui de Maryvonne de Saint-Pulgent, mais quand François Barré lui a succédé, son projet a été cassé », relève un proche. Bien que non révocable, il prend de guerre lasse la direction du Musée des beaux-arts de Montréal.
Vuillard contemporain de Warhol
Située dans la « Belle Province », cette institution de 35 000 m2 n’est pas pour autant provinciale. Certes, la collection, répartie entre deux bâtiments et constituée d’art ancien, d’art contemporain et d’arts décoratifs, se révèle inégale, faute d’un vrai budget d’acquisition. Le nouveau directeur s’est pourtant activé à l’enrichir, intégrant 10 000 numéros à l’inventaire, notamment un très beau Philippe de Champaigne. Il mène surtout une politique d’expositions éclectiques, presque toutes en coproduction. Les quelques blockbusters récents comme « Égypte éternelle » (2005) ou « Catherine la Grande » (2006) tendent à effacer les aléas d’un musée tout juste sorti du déficit. À son arrivée, Guy Cogeval avait dû s’accommoder d’une chute drastique de la subvention gouvernementale. Sans s’enfermer dans une spirale déflationniste, il a maintenu un programme ambitieux, tout en essuyant quelques bouillons. Grâce à la confiance du conseil d’administration, ce cinéphile a même concrétisé un vieux rêve, l’exposition « Hitchcock et l’art : coïncidences fatales » en 2000. Co-commissaire de l’exposition Walt Disney au Grand Palais, à Paris, il rêve de rendre hommage un jour à Fritz Lang. « Il aime le cinéma du fait qu’il est mélomane, confie Dominique Païni, également co-commissaire. Il est sensible à la scansion des séquences. Il a une capacité hors du commun, au cinéma comme à l’opéra, à s’identifier avec de grands personnages de fiction. »
Il s’est tout autant immergé dans la personnalité d’Édouard Vuillard, en publiant en 2003 un catalogue raisonné, couplé avec une rétrospective itinérante de l’artiste. Servi par des analogies inédites, cet ouvrage sort des sentiers de la notule et de la rhétorique sèche et convenue. « C’est l’un des rares historiens à avoir une culture profonde de l’art ancien, moderne et contemporain, ce qui lui permet des rapprochements intellectuels et iconographiques que d’autres ne font pas, analyse l’historien de l’art Gilles Genty. Il sait extirper de la peinture ancienne ce qui la rend contemporaine de notre regard. D’où sa capacité à rendre Vuillard contemporain de Warhol. Cette qualité a son revers. Il est moins proche du document que de l’esprit et du concept. » Le catalogue raisonné fera l’objet d’un procès, intenté en janvier 2004 par Annette Leduc Beaulieu et Brooks Beaulieu, anciens documentalistes d’Antoine Salomon, petit-neveu de Vuillard et détenteur de ses archives. Ces derniers hurlent au plagiat, en invoquant notamment des similitudes dans les titres des œuvres et la chronologie qu’ils auraient établis. Mais peut-on revendiquer la propriété de faits historiques ou de titres d’œuvres ? D’autant plus que d’autres documentalistes avaient déjà dressé, bien avant eux, une chronologie pour Antoine Salomon…
La perspective d’une publication dans les prochaines années du Journal de Vuillard conduit souvent Guy Cogeval à Paris. Un vrai retour à la Rastignac n’est toutefois pas à l’ordre du jour. Beaucoup d’observateurs lui ont prêté de telles visées alors qu’il est nommé, en 2004, conseiller auprès de la Réunion des musées nationaux (RMN) pour la programmation. Une fonction à laquelle il vient de mettre fin. Certains verraient bien ce spécialiste du XIXe siècle concourir pour le Musée d’Orsay. « Ce n’est pas sur mes tablettes, réplique-t-il agacé. J’aurais beaucoup de mal à me réhabituer à un milieu hiérarchisé. À Montréal, j’ai mon autonomie.
Est-ce que vous me voyez faire le pied de grue à l’entrée d’une exposition pour attendre un ministre ? » Guy Cogeval ne mâche pas ses mots contre l’inertie et la bureaucratie française. Ayant adopté depuis un an la nationalité canadienne, il ne se résoudrait pas non plus à diviser par quatre son salaire actuel ! Pourtant, certains assurent que « son rêve est de finir à l’Institut bardé d’honneurs ». Que cet être dionysiaque rêve de devenir un Immortel, pourquoi pas, mais n’est-il pas trop libertaire pour les corsets d’une Académie ?
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Guy Cogeval
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Abonnez-vous dès 1 €1955 Naissance à Paris.
1982 Boursier à la Villa Médicis, Rome.
1987-1998 Enseigne à l’École du Louvre.
1992 Directeur du Musée des monuments français, à Paris.
1998 Directeur du Musée des beaux-arts de Montréal.
2003 Exposition Vuillard et publication du catalogue raisonné.
2006 Co-commissaire de « Il était une fois Walt Disney », jusqu’au 15 janvier 2007, Grand Palais, Paris ; exposition « Girodet, le rebelle romantique » au Musée des beaux-Arts de Montréal jusqu’au 21 janvier 2007.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Guy Cogeval