Entretien

Anne de Villepoix, galeriste

« Un grand bouleversement pour la scène française »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 2006 - 720 mots

De plus en plus de galeries établies comme la vôtre peinent à rentrer dans les grandes foires internationales. Comment l’expliquez-vous ?
Une forme d’uniformité est en train de se créer sur les grandes foires internationales. Il me semble pourtant important d’avoir accès à une pluralité de regards et non à une pensée visuelle unique dictée par la mode, les tendances, les ventes aux enchères et la spéculation. Il faut pouvoir préserver les singularités qui apportent les interrogations et la fraîcheur dont l’art a besoin. Lorsqu’on fait un travail de fond sur des artistes qui sont importants sur le plan historique, le marché ne suit pas toujours. Par exemple, Martha Rosler que je présente depuis le début de l’existence de ma galerie, sera l’an prochain à la Documenta de Cassel et aux Skulptur Projekte de Münster. Elle a formé conceptuellement toute une génération comme Felix Gonzalez-Torres ou Rirkrit Tiravanija, mais elle n’a ni leur renommée, ni leur prix. Suite à la visite de l’exposition des œuvres de 1973 de Sam Samore en janvier, un curateur du PS1 [centre d’art de New York] y a organisé une exposition. De même, j’ai exposé récemment Huang Yong Ping, qui n’avait pas été montré en France depuis douze ans. Par ailleurs, lorsque la galerie a organisé en 2004 une exposition prospective « Dessins et des autres », beaucoup d’artistes que j’avais alors regroupés, comme Andro Wekua ou Wangechi Mutu, ont explosé sur le marché. Cette dernière n’a qu’une carrière de trois ans derrière elle et elle fait déjà 100 000 dollars. Voilà trois ans, j’avais acheté une de ses aquarelles pour 400 euros ! Julie Mehretu est sur le marché depuis quatre ans et le MoMA (Museum of Modern Art) de New York a acheté une pièce pour 400 000 dollars. L’art ne doit pas être une course contre le temps, mais dans le temps.

L’absence sur certaines grandes foires a-t-elle une incidence dans l’activité commerciale d’une galerie ?
Non, pas vraiment, compte tenu de la création exponentielle d’événements à Dubaï, Mexico, Shanghai. Il se crée une foire par minute… Il faut savoir qu’à la foire de Bâle ou à Frieze à Londres, il existe deux à trois vitesses de ventes. Ce n’est pas forcément le jackpot pour tout le monde.

Vous avez choisi de participer à la foire off Pulse à Miami, alors que l’an dernier, vous aviez préféré ne pas participer à une autre foire off, Volta à Bâle. Pourquoi avoir changé de stratégie ?
Certaines foires off peuvent être intéressantes et permettent une prise de risque. Étant par ailleurs présente sur Art Basel Miami Beach avec une pièce monumentale d’Erwin Wurm en collaboration avec d’autres galeries, Pulse me permet de présenter Barthélémy Toguo au public américain, ainsi que d’autres artistes français comme Stéphane Pencréac’h et Franck Scurti. Par ailleurs, je suis en train de réfléchir à ma stratégie concernant la participation aux foires, car le système des salons a pris beaucoup trop d’ampleur. Cette présence ne résume pas le travail d’une galerie et ne constitue pas la meilleure manière de présenter l’œuvre d’un artiste.

Vous faites partie du comité de sélection de la Foire Internationale d’Art Contemporain (FIAC) à Paris. Quelles sont les améliorations à apporter au salon ?
Il faut travailler davantage avec les collectionneurs internationaux. Les Américains qui ont tous un pied-à-terre à Paris ont donc de bonnes raisons d’y être présents au moment de la FIAC. Autrefois, les curateurs venaient prospecter en France. Il faut faire en sorte qu’ils reviennent à la FIAC et dans nos galeries. Le succès de cette année laisse présumer que de nombreuses galeries étrangères vont poser leur candidature l’année prochaine. Beaucoup de galeries françaises souhaitent aussi revenir. Mais le Grand Palais n’est pas extensible. Les équilibrages seront difficiles, il ne faut pas de dérapage.

Comment se porte le marché français ?
Il est très bon, car de plus en plus de collectionneurs achètent. Il est donc faux de penser qu’une galerie française ne peut survivre qu’avec le marché étranger. Évidemment, cela dépend du positionnement de la galerie et du travail de fond fait auprès des collectionneurs français. En quinze ans, ces derniers sont devenus plus passionnés, plus mobiles et donc mieux informés. Certains se sont même transformés en art addicts. Il s’agit d’un grand bouleversement pour la scène française, dont on a pris la mesure voilà cinq ans.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°248 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Anne de Villepoix, galeriste

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