Le Musée du Louvre consacre une monographie au sculpteur, si célèbre en son temps, mais dont l’œuvre ne nous parvient aujourd’hui que par de lointains échos.
PARIS - Déesse de l’amour feignant la pudeur, l’Aphrodite de Cnide ne laissera pas le visiteur de marbre. Dans l’Antiquité, on raconte qu’un jeune pèlerin du sanctuaire de Cnide, où la statue était exposée, en était tombé éperdument amoureux. Malgré l’immense succès de ce premier nu féminin dans l’histoire de la sculpture, l’on a peine à déceler qui est réellement le talentueux Praxitèle, auteur de cette œuvre. Les Anciens disent qu’il avait un père sculpteur, Céphisodote, et qu’il aimait ciseler le marbre, alors que ses contemporains privilégiaient le bronze.
Fort d’un important fonds de marbres relatifs à ce maître, le Louvre lui consacre une exposition monographique, aussi audacieux cela soit-il, car « vouloir aller à la rencontre d’un seul et même sculpteur, dont la carrière remonte à quelque deux mille trois cents ans, vouloir ressusciter son œuvre dont l’héritage se réduit à quelques restes […] qui de surcroît ne sont eux-mêmes que les échos affaiblis, distants parfois de plusieurs siècles des créations des maîtres, n’est-ce pas là une entreprise bien extravagante ? », se demande Alain Pasquier, l’un des commissaires de la manifestation, en introduction au catalogue. Mais c’est bien le mérite de cette exposition que d’affronter les incertitudes sans chercher à les esquiver. Ainsi, à travers plus de cent objets, monnaies, bagues, reliefs, statues, dont une vingtaine provient des musées athéniens et italiens, les commissaires nous livrent-ils les résultats de leur enquête sur Praxitèle, après que leurs homologues allemands et italiens se sont intéressés à Polyclète et Lysippe dans les années 1990.
Le ton est donné dès la première salle avec la présentation des originaux présumés du sculpteur, dont la fameuse Tête Despinis, étudiée en 1994 par l’archéologue du même nom. Ce dernier propose d’y reconnaître celle de la statue d’Artémis Brauronia, œuvre de Praxitèle vue par Pausanias, voyageur du IIe siècle ap. J.-C., lors de sa visite de l’Acropole d’Athènes. Pourtant, la facture sévère et puissante de ce visage colossal ne s’apparente guère au ciseau gracieux et délicat de l’artiste athénien, à tel point que pour beaucoup elle ne serait pas de sa main. Ironie du sort, la signature du maître est inscrite sur une base dont il nous manque la statue. Pour trouver Praxitèle, il faudra se tourner vers des répliques romaines, qui reprennent les formes des plus grands types attestés par les sources littéraires comme en témoignent l’Apollon Sauroctone, l’Aphrodite de Cnide ou le Satyre verseur. Confrontées les unes aux autres, ces copies proposent aux visiteurs, par le jeu des différences, une synthèse du style « praxitélien », dont les Vénus Colonna et Vénus du Belvédère offrent la meilleure illustration. Ce style, si caractéristique du maître du marbre, a influencé le répertoire des époques hellénistiques et romaines. La suite du parcours passe par les Temps modernes avec la redécouverte et la restauration des chefs-d’œuvre de l’artiste. La statue florentine de l’Apollon à la lyre, créée par Giovanni Caccini en 1586 à partir d’un fragment antique d’Apollon Sauroctone, n’offre qu’un lointain souvenir du sculpteur grec. Plus loin, le tableau de Jean-Léon Gérôme (1824-1904), Phryné devant l’Aréopage (1861), évoque un épisode croustillant de la vie de Praxitèle véhiculé par les auteurs anciens, celui de ses amours sulfureuses avec Phryné, accusée d’impiété après avoir posé nue pour lui. Ce mythe du XIXe siècle, qui brouille encore les pistes sur le sculpteur, a inspiré nombre d’artistes dont le Louvre nous propose quelques exemples. Le plus surprenant est peut-être ce théâtre d’ombres créé par Henri Rivière en 1890-1891, illustrant sous forme de zincs découpés l’histoire de la muse. Aux XIXe et XXe siècles, des savants comme Adolf Furtwängler s’essayent à une classification pour reconstituer la carrière du sculpteur, évoquée dans la dernière galerie de l’exposition, de la Vénus d’Arles à l’Hermès d’Olympie. Le parcours se referme sur une interrogation : le Satyre de Mazara del Vallo, superbe bronze découvert fortuitement en mer en 1997-1998, au large de la Sicile.
Paolo Moreno, archéologue italien, y voit un original du sculpteur.
Intégrant l’actualité de la recherche, l’exposition invite le public à découvrir, par le prisme de Praxitèle, la part d’incertitude qui entoure les sciences de l’Antiquité. Elle permet d’appréhender les multiples visages que l’histoire de l’art a prêtés à l’artiste. Il manque peut-être à l’exposition le regard proposé par Dalí dans l’Apparition de l’Aphrodite de Cnide dans un paysage (1981). La traversée historiographique s’appuie sur une mise en scène très sobre qui, par les jeux d’ombre et de lumière sur le marbre, offre au visiteur un spectacle d’exception, qui convient aux acteurs eux-mêmes, dieux et déesses de l’Olympe. Aphrodite, Apollon et Hermès se dévoilent dans la pénombre, laissant leurs silhouettes se découper sur les murs et le sol.
Jusqu’au 18 juin, Musée du Louvre, Hall Napoléon, 75001 Paris, tél. 01 40 20 53 17, www.louvre.fr, tlj sauf mardi, 9h-18h, mercredi et vendredi jusqu’à 22h. Catalogue, 456 p., 39 euros, coédition Musée du Louvre Éditions/Somogy. ISBN 978-2-7572-0047-6. - Commissaires : Alain Pasquier, conservateur général ; Jean-Luc Martinez, conservateur en chef - Nombre d’œuvres : 106 - Surface d’exposition : 2 500 m2 - Architecte : Jean-Julien Simonot de la direction architecture, muséographie et technique du Louvre
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Abonnez-vous dès 1 €L’Éphèbe de Marathon devait être le fleuron de l’exposition « Praxitèle ». Persuadé que la Grèce allait lui prêter ce bronze, le Louvre avait fait figurer la statue sur les affiches de son exposition. Malheureusement, le Musée national d’Athènes a annoncé en janvier son refus de prêt invoquant la trop grande fragilité et le caractère « inamovible » de l’œuvre. C’est une absence importante pour la manifestation qui devra se passer d’un des seuls bronzes originaux du IVe siècle av. J.-C. attribué au sculpteur ou à son atelier. La surprise et la déception furent grandes parmi les responsables du Louvre, d’autant plus que le musée venait d’accéder à la demande d’Athènes de renoncer à la présentation d’un Apollon Sauroctone conservé au Musée de Cleveland (États-Unis), œuvre qui aurait fait l’objet d’un trafic, selon les Grecs. Cette affaire ébranle une fois de plus les musées américains – après le Getty Museum de Los Angeles et le Metropolitan Museum of Art de New York – qui ont été accusés d’avoir acquis des antiquités auprès d’antiquaires peu scrupuleux (lire le JdA n°252, 2 fév. 2007, p. 5).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°256 du 30 mars 2007, avec le titre suivant : Signé Praxitèle ?