À Rome, une exposition retrace les innovations de ce contemporain du Caravage qui fut le fer de lance d’un nouveau langage artistique : le classicisme.
ROME - Son art, qui rayonna de Bologne à Rome à l’orée du XVIIe siècle, fut éclipsé par la manière spectaculaire de son plus illustre contemporain, le Caravage. Et pourtant, Annibale Carrache (1560-1609) fut, autant que son audacieux rival, un révolutionnaire, et le fer de lance d’un nouveau langage pictural : le classicisme. Las des artifices alambiqués du maniérisme, le jeune Bolonais s’imposa comme un nouveau Raphaël, en retournant à l’étude des maîtres anciens et surtout de la nature. De Rubens à Poussin, sa manière syncrétique et harmonieuse suscita une admiration sans mélange. Pour la première fois, une exposition rend justice à ce novateur. Après une étape à Bologne, celle-ci fait escale à Rome, dans une version un peu plus restreinte. Le tableau le plus connu de l’artiste, le Mangeur de fèves, qui montre un paysan dévorant goulûment sa soupe, a regagné la Galerie Colonna (Rome), et la truculente scène de boucherie des débuts de l’artiste est absente. Mais on peut savourer la veine populaire et réaliste de ses œuvres de jeunesse dans Le Buveur, où un commis en chemise boit son verre de vin jusqu’à la lie, et dans la paire de petits portraits d’une vieille femme aveugle, lesquels semblent annoncer les Monomanes de Géricault.
De Bologne à Rome
Nouvelle section, nouvelle ère pour le Bolonais : celle de l’Académie des Incaminati (Acheminés), une entreprise familiale créée avec succès par Annibale, son frère Augustin et son cousin Ludovic, qui partageaient une aversion pour le maniérisme. Cette attitude favorisa l’éclosion d’un style commun – à tel point qu’il n’est pas facile de reconnaître, aujourd’hui encore, la main de l’un ou de l’autre. De cette période date la Bacchante des Offices, à Florence, dont les chairs blondes et épanouies sont un hommage à Titien et à Véronèse, ainsi que le grand paysage fluvial de la National Gallery de Washington, exécuté sur la base d’esquisses brossées en plein air. Cette quête d’un rendu plus vrai de la nature incite Annibale à dessiner sans relâche sur le motif, mais aussi à mûrir les innovations de ses prédécesseurs : à Parme, il étudie Corrège ; à Venise, il copie Titien. Seule lui manquait encore l’observation des chefs-d’œuvre romains. Cette lacune est comblée en 1595 grâce à l’invitation du cardinal Odoardo Farnèse, qui confie à l’artiste la réalisation de ce qui deviendra son plus grand chef-d’œuvre : le décor de la galerie Farnèse (lire l’encadré). Cette entreprise ambitieuse est évoquée par une série de dessins préparatoires, des nus masculins pour la plupart, dont la puissante anatomie et le rendu virtuose révèlent une étude approfondie des ignudi [nus masculins] de Michel-Ange et des statues antiques. Mais Annibale sort épuisé et frustré d’un tel chantier. Odoardo Farnèse, par avarice ou manque de clairvoyance, ne sait récompenser son talent, et l’artiste sombre dans une mélancolie que nous appellerions aujourd’hui dépression. « Annibale, rapporte un contemporain, ne reçoit du cardinal pas plus de dix écus par mois […], avec une chambre sous les toits. Et pour ce prix, il peine et trime comme un cheval tout le jour ; il peint des loggias, des salles, des salons […]. Il est épuisé par ce dur travail et se plaint de cet esclavage. »
Plus dépouillées et dramatiques, les peintures de la fin de sa vie semblent se faire l’écho de cette humeur sombre. Ainsi de cette splendide Pietà soutenant sur ses genoux le corps livide du Christ (Musée de Capodimonte, Naples), laquelle clôt le parcours sur une note pleine d’intensité.
Jusqu’au 6 mai, Chiostro Del Bramante, Rome, tél. 39 06 68809035, www.chiostrodelbramante.it, tlj sauf lundi 10h-20h, le samedi 10h-23h, le dimanche 10h-21h. Cat. (en italien) éd. Electa, 500 p., 40 euros.
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Annibale Carrache enfin réhabilité
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Eugenio Riccòmini - Nombre d’œuvres : 80 (peintures et dessins) - Nombre de sections : 8
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : Annibale Carrache enfin réhabilité