Après la Tate Gallery de Londres et avant la National Gallery de Washington, le Musée d’Orsay célèbre James McNeill Whistler (1834-1903). Première exposition monographique depuis celle de la Freer Gallery of Art de Washington en 1984, elle présente l’œuvre d’un esthète influencé par les mouvements artistiques successifs de son époque, mais qui ne s’est véritablement rallié à aucun d’entre eux.
PARIS - À l’exception de quelques œuvres de petit format, d’un Nocturne, et de Symphonie en blanc, n° 3, qui n’a pu être prêtée une nouvelle fois par le Barber Institute of Fine Arts de Birmingham, le même ensemble de 66 peintures, 124 œuvres graphiques et 4 livres sera exposé au Musée d’Orsay. Geneviève Lacambre, commissaire de l’exposition à Paris, a choisi "un parcours plus chronologique que thématique" pour présenter Whistler au public français, démarche inverse de celle des Britanniques, plus familiarisés avec l’œuvre du peintre et graveur américain.
En conséquence, comme du vivant de Whistler, portraits et paysages se côtoieront dans les mêmes salles. Les œuvres de petit format seront présentées à part, et une salle sera consacrée à l’art décoratif. Le goût de Whistler pour les formes synthétiques, annonçant l’Art nouveau et la Sécession viennoise, sera illustré au travers de sa grande réalisation pour le collectionneur Frederick Leyland, The Peacock Room (La chambre aux paons), évoquée dans l’exposition par un grand carton provenant de l’Hunterian Gallery de Glasgow.
The Peacock Room est conservée à la Freer Gallery de Washington, qui possède également soixante-dix peintures et la majeure partie des gravures et lithographies de Whistler. Ce fonds ne peut malheureusement pas être prêté, tout comme celui de la Frick Collection à New York, et réduit d’autant la portée de cette rétrospective consacrée à un peintre longtemps méconnu en France, bien qu’il vécut entre Londres et Paris.
"Fumiste, mais artiste tout de même"
En avance d’une génération, préfigurant le mouvement des "expatriés", Whistler quittera les États-Unis, à vingt et un ans, pour ne plus jamais y retourner. Moins dans l’intention de "devenir un homme du monde et découvrir la femme idéale", comme Henry James plus tard, que de "fuir vers Oxford, Florence ou Montmartre pour y sauver son âme, ou peut-être l’y perdre", ainsi que l’écrira George Santayano. Déjà las sans doute d’être un créateur isolé, et éprouvant le besoin des confrontations qui stimulent les peintres européens, Whistler viendra vivre sa bohème à Paris, au sein du milieu qui allait donner naissance à l’Impressionisme.
Après avoir encensé Courbet, qui l’appelait son "élève", il le reniera, allant jusqu’à regretter de n’avoir pas eu Ingres comme professeur ; "Le dessin est plus important que la couleur", dira-t-il même un jour. Le peintre se rapprochera alors, à Londres, des Préraphaélites et du Japonisme avant que sa carrière ne se termine, de retour à Paris, dans le cénacle symboliste, auprès de Mallarmé. De tous les mouvements, sans appartenir à aucun, Whistler a fait le choix d’associer le réalisme à la poésie, ne voulant sacrifier son art ni à l’un, ni à l’autre.
De là, une démarche qui le conduira à intituler ses œuvres de noms de pièces musicales : symphonies, nocturnes, harmonies, arrangements, variations, caprices… qui évoquent toutes la quête d’une correspondance baudelairienne entre la musique et la peinture, entre le visible et l’invisible, entre tous les phénomènes sensibles.
Défenseur spirituel et acerbe de "l’art pour l’art", le sien est né d’une sensibilité esthétique plus que d’une puissance artistique authentique, ce que Pissarro traduira brutalement par "Whistler est très artiste, fumiste mais artiste tout de même".
L’émotion face à l’abstraction
Pour preuve, ses portraits en pied enveloppés dans une lumière diffuse qui estompe les figures avec douceur dans le fond, à la manière de Velasquez, dont il admirait tant la maîtrise. Si ces grandes silhouettes sont bien connues, les paysages et les marines démontrent son habileté à utiliser les techniques de l’aquarelle et de la peinture à l’huile, parfois diluée jusqu’à la transparence. Ses Nocturnes n’ont bientôt que peu de rapports avec le monde visible et rappellent la "vapeur teintée" de Turner, trahissant l’émotion de Whistler face à l’abstraction.
Mais c’est dans le domaine de la gravure que Whistler eut l’occasion d’exprimer le mieux son style raffiné et efficace. Ses eaux-fortes eurent en leur temps une influence considérable et furent imitées plus souvent que ses peintures, comme le souligne Pierre Cabanne.
"Il a manqué au peintre – et c’est ce qui explique peut-être son agressivité, ses rebuffades – plus d’élan créateur, le sens de l’effort et ces exigences qui permettent d’aller au-delà de la simple impression, de la sensation fugitive cueillie dans l’instant qui passe, quand les contours s’estompent, que la nuit s’annonce".
"Whistler, 1834-1903", Musée d’Orsay, du 8 février au 30 avril, tous les jours de 10h à 18h, le dimanche de 9h à 18h, le jeudi de 10h à 21h45. Fermé le lundi.
Catalogue de l’exposition Whistler, par Nicolai Cikovsky, Richard Dorment, Ruth Fine, Geneviève Lacambre et Margaret F. Macdonald, RMN, 336 p., 205 ill. couleurs, 128 N&B, broché, 290 F
Le Musée Rodin présente, du 7 février au 30 avril, une exposition de sculptures, "Rodin, Whistler et la Muse", autour du monument inachevé que le sculpteur a dédié à Whistler. Tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 16h45.
À lire également :
Pierre Cabanne, Whistler, Adam Biro, 96 pages, 47 ill. couleurs, 32 N&B, 98 F.
Edgar Munhall, Whistler et Montesquiou : le papillon et la chauve-souris, Flammarion, 176 p., 125 ill. dont 80 en couleurs, 275 F.
Oscar Wilde, Aristote à l’heure du thé, Les Belles Lettres, traduction de Charles Dantzig, 304 p., 120 F, (voir JdA n° 7, octobre).
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Whistler, de Courbet à Mallarmé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : Whistler, de Courbet à Mallarmé