L’artiste américain, admirateur de Matisse, réinterprète les célèbres nus féminins du maître français.
Nice. Tom Wesselmann (1931-2004) était passionné par l’œuvre d’Henri Matisse. Non seulement il l’a déclaré en son temps, mais l’exposition, organisée par Claudine Grammont, l’ex-directrice du Musée Matisse, le prouve amplement. Le peintre américain est loin d’être l’unique admirateur de l’artiste fauve. En Europe comme en Amérique – L’Atelier rouge (1911) est accroché au MoMA dès 1949 –, son audace chromatique, ses expérimentations avec l’espace de la représentation ou encore sa stylisation élégante de la figure humaine influencent de nombreux artistes. Les membres du pop art ne font pas exception : on connaît la série du bocal au poisson rouge de Roy Lichtenstein.
Dans le cas de Wesselmann, il s’agit d’une rencontre autour d’un thème, celui du nu féminin. La célébrité de Matisse aux États-Unis est due au succès commercial important des reproductions – cartes postales et affiches – de ses alléchantes odalisques, réalisées durant les années 1930, à Nice. Ces images, de veine orientaliste, à l’instar des films comme La Sultane de l’amour (1919), attirent Wesselmann qui, à 25 ans, subvenait à ses besoins en produisant des bandes dessinées pour les magazines. Cependant, malgré tout, l’orientalisme des images matissiennes s’inscrit encore dans la tradition respectable du nu féminin classique.
Avec Wesselmann, les corps, américanisés, aux contours purs mais schématiques, perdent définitivement leurs oripeaux et évoquent plutôt les pin-up. Avec cette mise à nu des mécanismes exploités par le système publicitaire : « Le stéréotype matissien se trouve transposé dans le contexte culturel des années 1960 durant lesquelles on assiste à une libéralisation sexuelle en même temps qu’une marchandisation croissante du sexe et du corps féminin », remarque Claudine Grammont (extrait du catalogue). Autrement dit, les objets quotidiens, prisés par le pop art, cèdent la place à un sujet-objet, la femme. Ces nus interchangeables, roses et lascifs, dont les lèvres, les mamelons et le sexe sont d’autant plus accentués que les visages inexpressifs, sans traits, semblent comme des masques impersonnels. Parfois, dans un effet de zoom, un fragment, agrandi et isolé, rapproche les parties les plus érotiques du corps des fleurs et des fruits, métaphores des organes sexuels (série du « Great American Nude », 1961-1973).
Pour donner à ces scènes un aspect tactile, Wesselmann découpe et peint des lignes en aluminium selon sa technique du cut-out. Ces lignes en relief dessinent une silhouette féminine incarnée en creux par le mur blanc contre lequel elle est exposée. Nommées « Steel Drawings », entamées au milieu des années 1980, ces œuvres correspondent à l’agrandissement de petites esquisses jetées sur le papier. Cette technique est clairement visible avec Blue Danse (1996-2002), reprise proche de l’abstraction de La Danse de Matisse, exécutée avec des supports divers – papier, carton, aluminium, acier. Un dernier hommage à l’artiste français, maître des papiers découpés ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°608 du 31 mars 2023, avec le titre suivant : Wesselmann met Matisse à nu