Longtemps boudé par la critique américaine, l’artiste pop art Tom Wesselmann bénéficie d’une rétrospective au Musée de Montréal.
MONTRÉAL - « Il fait partie de ces artistes qui sont passés à côté des historiographies et des rétrospectives qui les auraient consacrés de leur vivant. » Ainsi Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-Arts de Montréal, définit-elle Tom Wesselmann (1931-2004). La première grande rétrospective d’un des maîtres du pop art new-yorkais, décédé il y a huit ans, ne se tient pas aux États-Unis mais au Québec, alors que Roy Liechtenstein, Claes Oldenburg et Andy Warhol n’en finissent plus d’être exposés en Amérique du Nord.
Pourquoi cette relative indifférence institutionnelle à l’encontre de l’artiste ? Si les collectionneurs s’arrachent aujourd’hui ses œuvres, les musées semblent encore marqués par une historiographie très négative, liée aux critiques féministes des années 1970, « un véritable boulet » selon Marco Livingstone, co-commissaire de l’exposition. « Tom Wesselmann : Au-delà du Pop Art » corrige cette vision biaisée de l’œuvre en nous livrant les travaux sériels de l’artiste.
Dès la première salle, dévolue au nu féminin avec ses célèbres « Great American Nudes », le classicisme de Wesselmann éclate : il s’inspire des poses iconiques de Titien, Goya, Manet et Matisse, dont l’œuvre le guidera tout au long de sa carrière. La « grande peinture » défile sous nos yeux, non sans humour et ironie. Wesselmann, en mauvais garnement, détourne les symboles de la nation américaine, mêlant à ses odalisques rieuses et sensuelles la bannière étoilée, des bouteilles de vodka, George Washington et des images découpées de chatons.
Au début des années 1960, en plein pop art, il joue avec les plastiques publicitaires, puis étend ses recherches à la 3D, au jeu des lumières et des effets sonores. Dans Still Life No. 31 (1962), il introduit ainsi une télévision à son dispositif.
Mais dès 1965, les échelles sont plus grandes, les vues plus rapprochées. Still Life No. 60 (1973) fait plus de 8,50 m de long… La célèbre série des « Smokers », peinte à l’huile, présente de grandes bouches entrouvertes, cigarette allumée. Son attention se porte sur les pieds ou les tétons, le corps de la femme devenant un réservoir à motifs formels. Intense, presque kitch ; l’imagerie reste la même : reproduction des grands peintres, objets de consommation et nus féminins, mais la recherche se focalise sur les formes et les échelles. L’érotisme ostentatoire de la série des « Bedroom Paintings » dans les années 1970 suscite alors une levée de boucliers unanime (pour des raisons différentes) chez les féministes et les conservateurs. L’Amérique puritaine de Reagan fera le reste pour mettre à l’ombre des œuvres jugées subversives et dangereuses. Wesselmann se tourne alors vers les « Steel Drawings » (Dessins d’acier) pour « conserver le processus et le caractère immédiat de [s]es dessins d’après nature (avec leurs lignes accidentelles et leurs erreurs) en les réalisant dans l’acier », expliquera-t-il. Dans les années 1980, il développe un processus de découpage au laser, qui lui permet de jouer avec les pleins et les vides, et recouvre d’émail le métal. La salle dédiée à ces dessins met en lumière ses qualités de dessinateur. À la fin de sa carrière, il se réconcilie avec l’abstraction et livre des œuvres d’une remarquable fraîcheur : ainsi de Sunset Nude with Matisse Odalisque (2003), où il rend une dernière fois hommage au maître.
À Montréal, la cohérence, l’originalité et la force de l’œuvre de Wesselmann ne font plus débat.
Jusqu’au 7 octobre, Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), 1380 rue Sherbrooke Ouest, Montréal, tél. 514 285 2000, , tlj 11h-17h, mer. jusqu’à 21h, jeu.- vend., jusqu’à 19h. Catalogue coéd. MBAM/DelMonico/Prestel, 204 p., 59,95 livres (env. 47 euros), ISBN 978-2-89192-360-6.
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Wesselmann, à l’ombre du pop art
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Stéphane Aquin, conservateur au MBAM ; Marco Livingstone, historien de l’art.
- Nombre d’œuvres : env. 180
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°371 du 8 juin 2012, avec le titre suivant : Wesselmann, à l’ombre du pop art