VERSAILLES
Dans la ville où le comédien et dramaturge connut ses plus grands succès, l’Espace Richaud démonte une série de mythes encore vivaces.
Versailles. Pour le quadruple centenaire du plus grand des dramaturges français, on attendait un hommage en bonne et due forme de la part de la ville qui a fait sa gloire. Mais c’est un « pas de côté » que propose Versailles. « L’objet de l’exposition est de mettre en perspective la place qu’a prise cette figure dans l’esprit français », explique Martial Poirson, commissaire de « Molière, la fabrique d’une gloire nationale », proposée à l’Espace Richaud. Car c’est une batterie de mythes que l’exposition invite à reconsidérer, afin de comprendre comment la figure moliéresque fut récupérée à de multiples reprises par le monde politique comme artistique. Molière artiste maudit, déconsidéré de son vivant et mort sur scène ? Rien de plus faux : le comédien est célébré, a ses aficionados et ses détracteurs, tandis que ses moindres faits et gestes sont épiés par les gazettes. Jean de La Fontaine, pour son oraison funèbre, déclarera : « Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence » ; l’égal des antiques vient de s’éteindre.
Molière, classique parmi les classiques ? Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673) récusait lui-même cette définition, et préférait qu’on le désigne comme directeur de troupe et comédien. Molière assis à la table de Louis XIV ? Impossible ! Dans la société de cour, un comédien, au statut de sous-citoyen, n’aurait pu accéder à la table royale. Preuve de la ténacité de ces clichés, l’image du dramaturge partageant un repas avec le Roi-Soleil était reprise dans le numéro de « Secrets d’histoire » diffusé le 10 janvier sur France 3.
C’est au XIXe siècle que cette image du comédien et du monarque côte à côte devient un thème : Ingres, Gérôme ou Jean Vetter – dont la version est ici présentée – peignent tous ce morceau d’histoire inventée. La Restauration défendait alors l’idée d’un Molière proche du roi, un joyau sur la couronne de la monarchie, et souhaitait symboliser cette proximité. Quelques décennies plus tard, le Molière royal est remplacé par le Molière républicain, héraut de la lutte anticléricale avant l’heure. Dans les deux cas, l’histoire est très simplifiée pour servir des intérêts politiques. Seul Napoléon ne se risquera pas à cet exercice de réécriture : l’œuvre de Molière attaque trop directement le patriarcat, ciment du Premier Empire. Le parcours se poursuit jusqu’à l’histoire récente, quand Jean Vilar, fondateur du Théâtre national populaire, fait une lecture marxiste du répertoire de Molière : n’est-il pas le premier dramaturge à mettre en scène les rapports de classe, les inégalités de genre ?
Le parcours montre une belle diversité d’objets, témoins de l’incarnation de ses textes par des comédiens et illustrant les métiers d’artisanat que convoque la mise en scène : le dramaturge est ainsi rendu à sa condition de directeur de troupe. Une incursion dans les anciennes colonies françaises, au Maghreb et en Indochine, le présente enfin comme un outil de la « mission civilisatrice » des colonisateurs. Mais lorsque ces derniers sont chassés, ce sont des dramaturges locaux, comme le Marocain Tayeb Saddiki, qui lui consacrent la plus belle part de leur répertoire.
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À Versailles, une histoire culturelle de notre Molière national
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : À Versailles, une histoire culturelle de notre Molière national