En accueillant « Turner Whistler Monet », les Galeries nationales du Grand Palais
révèlent le dialogue entre les trois peintres d’atmosphère.
PARIS - « J’avais envoyé (à l’exposition du boulevard des Capucines, en avril 1874), une chose faite au Havre, de ma fenêtre, du soleil dans la buée et au premier plan quelques mâts de navires pointant… On me demande le titre pour le catalogue, ça ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du Havre ; je répondis : Mettez Impression. On en fit impressionnisme et les plaisanteries s’épanouirent. » Cette « chose » signée Claude Monet, Impression. Soleil levant (1872-1873), est au cœur de l’ambitieuse exposition « Turner Whistler Monet » actuellement proposée au Grand Palais. Paternité, filiation, influence, source d’inspiration… : la parenté esthétique du britannique Joseph Mallard William Turner (1775-1851), de l’Américain James McNeill Whistler (1834-1903) et du Français Claude Monet (1840-1926) est aujourd’hui reconnue, mais les faits historiques reliant ces fortes personnalités révèlent un réseau très complexe. Entourée d’une équipe de conservateurs et d’universitaires franco-britanniques, Katharine Lochnan, spécialiste de Whistler et conservatrice en chef au Musée des beaux-arts de l’Ontario, à Toronto, s’est lancée dans la recherche de témoignages et documents d’époque pour tenter d’identifier et de reconstituer le dialogue entre ces artistes.
C’est avec étonnement que l’on découvre la haine déclarée de Whistler envers Turner. L’influent critique John Ruskin, fervent admirateur du stentor britannique, ne cachait pas son mépris pour l’œuvre du jeune peintre américain. Aussi ce dernier souhaitait-il s’émanciper de sa passion première pour Turner, en lui reprochant un manque d’exigence décorative. Pour sa part, Turner n’a jamais renié l’héritage de Claude Lorrain, allant jusqu’à exiger que deux de ses toiles soient suspendues aux côtés de celles du peintre français à la National Gallery, à Londres. Lié d’amitié avec Whistler, Monet n’avoua qu’à la fin des années 1880 son penchant pour l’œuvre tardive de Turner, qu’il avait découvert en 1870 lors d’un séjour à Londres. John House, professeur au Courtauld Institute of Art, à Londres, rappelle à cette occasion, dans son essai publié dans le catalogue de l’exposition, que les artistes d’avant-garde, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, aspiraient à se démarquer de toute filiation, tant leur volonté de créer un style individuel, débarrassé de codes de l’Académie, était tenace. Whistler s’installe néanmoins à deux pas de la maison de Turner à Chelsea et s’inspire de la Tamise et de son éclairage magnifié par le brouillard créé par la pollution industrielle. De la même manière, Monet s’établit un temps à Argenteuil, au bord de la Seine, également enveloppée d’émanations industrielles. Plus tard, tous deux marcheront sur les pas du maître britannique à Venise. Mais, au-delà du sujet, ce qui réunit ces trois artistes est bien leur volonté de peindre la lumière, et le propos de l’exposition démontre à quel point cette passion commune s’exprime différemment. Au sujet de Turner, Monet analysait dans un entretien en 1888 : « L’un de ses points forts est d’utiliser les mêmes couleurs sur chaque partie de la toile. Ainsi, le ciel sera balafré de touches de bleu, de rouge, de vert et de jaune, avec une prépondérance de bleu ; un champ vert sera travaillé avec les mêmes couleurs, avec une prépondérance de vert, tandis qu’un rocher sera traité de la même manière, avec une prépondérance de rouge. En travaillant de cette façon […], il réussit à rendre la subtile harmonie de la nature […] sans déperdition de couleur. »
Whistler, glacis métalliques
La dimension métaphysique de la nature dans l’œuvre de Turner, particulièrement visible dans Confluent de la Severn et de la Wye (vers 1845) ou Soleil couchant sur un lac (1840-1845), n’était pas pour déplaire au peintre impressionniste. Pourtant, la recherche d’harmonie de couleurs chez Monet se rapproche davantage de celle de Whistler. Impression. Soleil Levant s’apparente, dans son traitement de la matière picturale, aux glacis métalliques de Whistler (Nocturne en bleu et argent – Chelsea, 1871). Mélomane, le peintre américain favorisait les harmonies autour d’une couleur dans ses Nocturnes et autres Symphonies – on déplorera, à ce propos, le bleu du mur sur lesquels ses œuvres sont accrochées : trop forte, cette couleur a tendance à écraser toutes les variations subtiles de tonalités de vert et de bleu des peintures. À partir de 1878, Monet abandonnera la thématique contemporaine pour se dédier aux effets atmosphériques, se rapprochant ainsi de Turner. Magistrale, la salle réunissant les vues de Charing Cross Bridge, de Waterloo Bridge et du Parlement, réalisées entre 1899 et 1903 par le Français, permet d’apprécier à sa juste valeur son travail de série, mais surtout de le confronter à L’Incendie des Chambres des lords et des communes, le 16 octobre 1834, de Turner, judicieusement présenté en face.
Plus qu’un affrontement, on assiste au Grand Palais à l’expression individuelle de trois fortes personnalités. La diversité de ces approches se confirme dans les dernières salles consacrées à Venise. La spontanéité de la touche de Turner se retrouve dans les eaux-fortes de Whistler, qui a choisi de saisir les façades des palazzi, mais aussi dans ses pastels richement colorés. Quelques années plus tard, à travers sa série de Palais Contarini, Monet rend à la fois hommage, dans la forme, aux délires colorés du maître anglais, et, dans le fond, à l’architecture vue par le mélomane américain. La boucle est bouclée.
Jusqu’au 17 janvier 2005, Galeries nationales du Grand Palais, square Jean-Perrin, 75008, Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr/turner-whistler-monet, tlj sauf mardi 10h-20h, 10h-22h le mercredi. Catalogue coédité par la RMN et Tate Publishing, 264 p., 39 euros, ISBN 2-7118-4727-6
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Variations de lumière
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Variations de lumière