Œuvre de maturité du peintre, le polyptyque de Marchiennes témoigne de l’attachement de Van Scorel à la peinture italienne, sans pour autant nier l’héritage septentrional.
Le polyptyque de Marchiennes est l’un des plus fameux retables de Jan Van Scorel (1495-1562), artiste qui a joué un rôle primordial aux Pays-Bas. En 1521, il se rend à Venise et à Rome où le pape Adrien VI, également néerlandais, lui confie la charge de la conservation des collections du Belvédère, remplaçant Raphaël qui vient de mourir. Les fouilles sont régulières à l’époque, et Scorel découvre les antiquités romaines et dessine de nombreuses ruines. Il s’imprègne également des créations de Raphaël et de Michel-Ange, ainsi que du maniérisme ambiant.
Rentré en Hollande en 1524, il s’installe à Utrecht et entreprend une carrière féconde de portraitiste et de peintre de retables. Scorel représente l’image idéale de l’uomo universale, l’humaniste de la Renaissance, au contact d’hommes d’État et d’éminents intellectuels. Polyglotte, il est aussi auteur de pièces de théâtre et, comme Léonard de Vinci, ingénieur et homme de science.
Un maniérisme romain
Dans le polyptyque de Marchiennes, qui retrace le cycle de vie de saint Jacques le Majeur et de saint Étienne, toutes les scènes sont traitées dans un esprit identique, avec les mêmes types de figures et de composition.
Les couleurs contrastées concourent, avec les effets de perspective et les raccourcis, à faire ressortir les personnages du tableau, ce qui n’était pas la préoccupation des artistes du siècle précédant.
Ces figures « grandeur nature » et la mise en scène « antiquisante » attestent aussi de la culture archéologique acquise par l’artiste. Alors que ses compatriotes maintiennent la tradition gothique, Scorel affirme sa singularité par une composition complexe, des coloris acidulés, une tension dynamique et un éclairage brutal, caractéristiques de son maniérisme romanisant.
Une histoire mouvementée
Les œuvres de Scorel sont aujourd’hui peu nombreuses car la plupart des retables réalisés aux Pays-Bas ont été détruits par l’iconoclasme calviniste. Quant à ceux conservés en France, notamment à Arras et à Marchiennes, ils ont subi les foudres révolutionnaires.
Le polyptyque avait ainsi été complètement démantelé. Le conservateur qui en a permis la reconstitution, Jacques Guillouet, avait d’abord remarqué dans les années 1960, deux grands panneaux dans une église des environs de Douai. Il trouva d’autres planches, dans les greniers d’un presbytère, sciées dans la longueur au xixe siècle ! En 1973, cinq des six volets avaient été retrouvés.
Malheureusement, le dernier panneau qui représente le portrait du donateur, l’important mécène et abbé de Marchiennes, Jacques Coene, est toujours manquant. Quarante ans après les premières restaurations, le mécénat d’une banque permet un nouvel embellissement de cette œuvre majeure de Jan Van Scorel.
La plastique
Un lien de parenté avec Michel-Ange
Des jambes interminables où chaque muscle est saillant, des corps vigoureux, quand d’autres personnages portent une cuirasse qui leur colle à la peau : tout indique la forte influence de Michel-Ange. La plastique corporelle est élevée au maximum de sa force et de son harmonie, elle transcende l’anecdote.
L’évocation du martyre est sans rapport avec ce qu’elle était à l’époque médiévale. Elle donne une impression de violence mais non de cruauté. D’ailleurs le martyre est annoncé, mais on n’assiste pas à la décapitation de saint Jacques dont le corps est intact. De même, les pierres brandies par les meurtriers n’ont pas encore touché Étienne. On remarque aussi que les personnages tournent le dos au spectateur et ne l’interpellent pas. Certains semblent même étrangers à la scène, comme ces deux passants qui frôlent saint Jacques sans le voir. L’ensemble est un véritable théâtre.
La lumière
Un pont entre l’Italie et les Pays-Bas
Malgré les emprunts à l’Italie, Scorel demeure fidèle à son éducation septentrionale. La gesticulation et l’allongement des figures sont renforcés par un éclairage brutal qui évoque les lumières blanches de Lucas de Leyde. La peinture est d’ailleurs posée en minces glacis. La transparence et la fluidité de la matière laissent apparaître le dessin préparatoire conçu à main levée comme un grand croquis. Le traitement minutieux des détails prouve son attachement profond à la culture néerlandaise traditionnelle, enrichie du nouveau langage de la Renaissance italienne.
Scorel est un pont entre les deux pays et était qualifié par ses contemporains comme « l’éclaireur et le pionnier de la peinture dans les Pays-Bas ».
La tension
Une lapidation théâtralisée
La composition de la lapidation de saint Étienne résume les caractères essentiels du polyptyque de Marchiennes. L’action est véritablement théâtrale et le mouvement semble être de plus en plus violent.
L’épisode de la vie de saint Étienne, représenté ici, est issu de La Légende dorée de Jacques de Voragine. Étienne est condamné pour sa foi et lapidé à l’extérieur des murailles de Jérusalem.
De vigoureux gaillards, pratiquement grandeur nature, occupent toute la partie droite de la composition et s’apprêtent à assommer le saint à coups de pierre. En partie dépouillé de ses vêtements, il lève les yeux au ciel vers l’apparition du Christ présentant sa croix.
Dans le coin inférieur gauche, Saül est à demi allongé. Il se convertira plus tard au christianisme et deviendra saint Paul. Son visage juvénile, vu en « profil perdu », est directement inspiré par les maîtres de la Renaissance italienne. Les draperies de son vêtement et leurs coloris acidulés sont du plus pur maniérisme.
L’édifice
Une somme d’architectures classiques
La scène générale (voir page 74) représentée la condamnation de saint Jacques pour sa foi par le procurateur romain Hérode Agrippa. Pendant que saint Jacques, à droite, se tourne vers un paralytique assis par terre et le guérit.
Jan Van Scorel témoigne de sa fascination pour Rome, un héritage d’ailleurs plus marqué que dans les tableaux exécutés à son retour d’Italie vingt ans auparavant. L’arrière-plan illustre une accumulation d’architectures antiques avec aqueduc, degrés, caryatides, statue monumentale et obélisque, qui évoquent aussi l’art de Pontormo.
Mis à part ces détails, le paysage s’efface plutôt au profit des figures, les véritables acteurs de ce retable.
Informations pratiques Le polyptyque récemment restauré a repris place parmi les œuvres du musée de la Chartreuse de Douai, ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h. Tarif : 3 € et gratuit pour les moins de 18 ans. Musée de la Chartreuse, 130, rue des Chartreux, 59 500 Douai, tél. 03 27 71 38 80.
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Van Scorel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°582 du 1 juillet 2006, avec le titre suivant : Van Scorel