Marie Bonaparte a joué un rôle dans le sauvetage de Freud, traduit en français certains de ses textes, fondé la Société psychanalytique de Paris… Histoire d’une patiente muée en héroïne.
Evidemment, Marie Bonaparte aurait pu singer la félicité, jouir de sa fortune et profiter de sa chance, se dire que l’on ne prête qu’aux riches et que l’argent fait bien le bonheur. User de sagesses proverbiales et de truismes faciles. Mais non. La joie n’est pas, ou plus. Ainsi qu’elle le confie à ses proches, la princesse se sent triste, de cette tristesse qui accable et qui lamine. De cette tristesse qui ne passe pas et qu’elle décide de combattre coûte que coûte, avec une seule idée en tête : rencontrer ce professeur Sigmund Freud, ce nouveau sage, ce dernier recours.
Vienne, Paris, Londres
Le 29 septembre 1925, Marie Bonaparte – 43 ans – arrive à Vienne, accompagnée de sa femme de chambre. Là, dans sa suite du Bristol, l’un des plus luxueux palaces de la ville, elle attend fièvreusement son rendez-vous du lendemain, celui que son ami et psychiatre René Laforgue lui a obtenu dans le célèbre cabinet du 19 Berggasse. De son côté, Freud, adulé du haut de ses 69 ans, redoute cette rencontre, l’aristocrate ne venant sans doute à lui que pour expérimenter une pratique à la mode.
Erreur. La princesse vient là moins en curieuse qu’en patiente, se mettant à nu, dévoilant ses souffrances et parlant de sexualité librement, avec une verdeur et une acuité étrangères à son milieu. Et en allemand qui plus est, preuve s’il en est de son investissement et de sa détermination. La mère tôt disparue, la grand-mère redoutée, les désirs réprimés, les remords, et les regrets : les nombreux séjours viennois voient se confier et se dévoiler une princesse qui cède désormais du terrain à mesure qu’en gagne la femme, libre et libérée.
Patiente zélée, Marie Bonaparte est aussi une prosélyte rêvée : fondatrice de la Société psychanalytique de Paris en 1926, elle contribue à diffuser la théorie freudienne en France et, ainsi, à triompher d’une longue frilosité hexagonale en la matière. Remarquable traductrice de l’œuvre de Freud, elle devient une familière du Viennois, comme en témoigne la docilité avec laquelle ce dernier se laisse filmer par la Française lors d’un été autrichien, en 1930 [voir p. 79].
Passeur de la psychanalyse, Marie Bonaparte le sera également de son fondateur : en 1938, elle paie aux nazis la rançon qui permet à Freud de fuir l’Autriche pour Londres et le reçoit personnellement lors de son étape française, assumant intellectuellement et financièrement son rôle d’ambassadrice du freudisme. L’histoire d’une dette symbolique réglée, en somme.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet ?
Marie Bonaparte est née à Saint-Cloud et toute sa vie, elle est restée très attachée à sa maison d’enfance. Le musée des Avelines souhaitait rendre hommage à cette personnalité hors du commun. Les liens étroits tissés avec la descendance de la princesse nous ont permis de réaliser cette exposition inédite.
Il semble que Marie Bonaparte – fille comme épouse – n’ait pas réellement connu de vie de princesse…
Orpheline de mère à l’âge d’un mois, élevée par une grand-mère austère, souffrant de l’absence de son père, Marie Bonaparte connut une enfance solitaire. Par son mariage, elle devient princesse de Grèce et de Danemark, mais elle est avant tout une femme engagée, menant une vie intellectuelle intense et souvent osée pour son époque, sa rencontre déterminante avec Freud ayant orienté son destin vers la psychanalyse.
Adoubée par Freud, Marie Bonaparte n’aura-t-elle pas des démêlés avec Lacan ?
Marie Bonaparte a été très impliquée dans la création de la Société psychanalytique de Paris en 1926. Cependant, après la guerre, elle dénonce la pratique de Lacan qui est favorable aux analyses courtes, ce qui provoque la scission de la Société.
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Une vie entre le trône et le divan
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« Marie Bonaparte, portrait d’une femme engagée », jusqu’au 12 décembre 2010. Musée des Avelines, Saint Cloud. Du mercredi au vendredi de 12 h à 18 h. Du samedi au dimanche de 14 h à 18 h. Entrée gratuite. www.saintcloud.fr
« Charlotte Bonaparte, une princesse artiste »
Autre Napoléonide au destin singulier, la princesse Charlotte Bonaparte (1802-1839) fut, elle, une artiste. Comme son arrière-petite-cousine Marie Bonaparte, Charlotte a eu un parcours troublé dont elle a su faire une force. La chute de l’Empire l’entraîne sur les routes de l’exil : à Bruxelles où elle devient l’élève de David, puis aux États-Unis et en Italie. Grâce aux prêts du Museo Napoleonico de Rome où elle a vécu, le musée national des châteaux de Malmaison accueille ses dessins et ses aquarelles. www.chateau-malmaison.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : Une vie entre le trône et le divan