Une saison anglaise au Musée d’Orsay

L'ŒIL

Le 1 mars 1999 - 488 mots

Avec trois expositions, qui répondent judicieusement à sa vocation pluridisciplinaire, le Musée d’Orsay plonge dans le monde étrange et sulfureux de l’Angleterre victorienne. Une Angleterre économiquement triomphante mais corsetée, écartelée par ses contradictions, qui fait marcher à plein régime les machines de l’industrialisation et du colonialisme tout en rêvant de racommoder les insupportables déchirures de la société. Cette quête se traduit essentiellement dans le Gothic Revival. Ce mouvement va, en effet, bien au-delà d’un simple caprice littéraire et architectural ou d’un banal anti-académisme. Les débats passionnés qui s’élèvent à propos de la construction du Parlement de Londres par Barry et Pugin (1840-1865), ou de façon plus houleuse, autour du Foreign Office de Sir Gilbert Scott, témoignent d’une réflexion plus intense encore que celle qui a parcouru la France de Lassus et de Viollet-le-Duc. Le Gothic Revival répond à la réflexion religieuse qui traverse la Grande-Bretagne et, à la nostalgie d’une société médiévale mieux organisée, plus artistique aussi, décrite par l’historien Carlyle ou par le critique Ruskin... Toutes préoccupations qui sont à l’origine de la fondation de la confrérie des Préraphaélites en 1848. Les œuvres de ses jeunes membres, Rossetti, Millais, Hunt, exposées pour la première fois au Salon de la Royal Academy en 1849 révèlent deux axes fondamentaux de leur profession de foi artistique ; d’une part des sujets religieux ; de l’autre des sujets médiévaux. Un autre aspect de leur art, le culte de la nature excité par la lecture studieuse de Ruskin, émerge sous les surfaces rutilantes et minutieusement composées de leurs tableaux. Burne-Jones, qui incarne la seconde génération du préraphaélisme, ne participe pas aux débuts fracassants du mouvement dominés par le talent strident de Millais. De par son amitié exclusive avec Rossetti, il ne connaît qu’un des aspects de son programme. Comme Rossetti, Burne-Jones abandonne l’engagement social de l’artiste et la fidélité à la nature pour voguer au cœur de la vague médiéviste qui atteint son apogée dans les années 1860. Craignant de voir ce beau talent se noyer, Ruskin envoie Burne-Jones en Italie où il s’enthousiasme pour Botticelli, Léonard et Michel-Ange dont les figures hantent ses œuvres. Pour autant, le travail multiforme de Burne-Jones ne s’enferme pas totalement dans le soliloque excentrique et douloureux des œuvres de Rossetti. Grâce à son amitié avec Morris, il participe au mouvement des Arts and Crafts qui renouvelle les arts décoratifs anglais en réalisant des cartons pour des tapisseries et des vitraux, en illustrant des livres. Chacun de ses dessins prouve cependant sa fuite inéluctable vers l’imaginaire. Fuite qui est un aveu d’échec du préraphaélisme et de la mission sociale de l’artiste. Fuite généralisée que l’exposition des « Tableaux vivants, fantaisies photographiques victoriennes » dévoile avec une stupéfiante acuité en niant jusqu’au réalisme intrinsèque du médium photographique.

Musée d’Orsay, 4 mars-6 juin, cat. RMN, 150 F. À lire : Laurence des Cars, Les Préraphaélites, Gallimard/RMN, 128 p., 73 F et Isabelle Enaud Lechien, Burne-Jones, ACR Édition, 120 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°504 du 1 mars 1999, avec le titre suivant : Une saison anglaise au Musée d’Orsay

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