PARIS - L’une des sculptures phare de l’exposition organisée par le Musée de Cluny, à Paris, est une véritable découverte. Déplacée de manière exceptionnelle de l’église Saint-Germain-des-Prés (6e arr.), une Vierge à l’enfant d’apparence mutilée (vers 1245-1255), dont la pierre calcaire porte encore les traces des outils du sculpteur, tranche avec la préciosité de la sculpture du roi Childebert (vers 1240, Paris, Musée du Louvre), dont la provenance est identique.
Toutes deux appartenaient au somptueux décor disparu de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, située alors hors les murs, à deux pas de l’enceinte de Paris érigée à la fin du XIIe siècle à l’initiative de Philippe-Auguste. Ce riche établissement ecclésiastique a pu s’offrir, au milieu du XIIIe siècle, les services de l’architecte le plus célèbre du siècle, Pierre de Montreuil, l’un des premiers maîtres d’œuvre du Moyen Âge à avoir laissé son nom à la postérité. Sa pierre tombale est, en effet, gravée de l’étonnante épitaphe « doctor lathomorum », soit docteur ès pierres, signe d’un statut social particulier.
Nombreuses conjectures
Découverte fortuitement en 1999 lors de fouilles précédant la construction d’un parking souterrain place Furstenberg, sur l’ancien périmètre de l’abbaye, la Vierge de Saint-Germain-des-Prés a fait l’objet de nombreuses conjectures. « La pierre présentait en réalité une faiblesse, c’est la raison pour laquelle elle est restée inachevée et a été enterrée, car elle était sacrée », explique Xavier Dectot, commissaire de l’exposition. Malgré son état, elle demeure l’un des quatre derniers exemples de trumeau sculpté (ou pilier central) parisien du XIIIe siècle. Cela, alors que pas moins de cinquante-cinq églises sont construites en un siècle, du fait d’une très forte croissance démographique.
La plupart de ces édifices, à l’exception des monuments comme Notre-Dame ou la Sainte-Chapelle, ont été détruits bien avant la Révolution. Quelques fragments ont toutefois émergé ici et là, à l’occasion de fouilles, notamment lors des travaux menés par le baron Haussmann. « Mais à l’époque, on recherchait avant tout les vestiges antiques », précise Xavier Dectot.
Véritable âge d’or
C’est donc pour faire revivre cette architecture parisienne lacunaire qu’ont été réunis ces quelque 200 fragments lapidaires, dont la découverte peut se poursuivre, grâce à un fascicule offert aux visiteurs, par un parcours dans les quelques monuments contemporains proches du musée. Tous ces vestiges témoignent de l’émergence d’un nouvel avatar du style gothique, que les historiens de l’art du XIXe siècle ont baptisé « rayonnant ». Soit une référence aux grandes roses qui viennent alors percer les façades des églises grâce à la perfection technique atteinte par les maîtres maçons, rendue possible par une amélioration de la taille de pierre mais aussi de sa mise en œuvre, notamment avec l’utilisation du métal. L’architecture s’allège au profit du décor et permet aux sculpteurs de vivre un véritable âge d’or.
Le naturalisme conquiert les décors végétaux, « botaniquement corrects » selon Xavier Dectot, mais aussi les figures. L’intérêt pour le nu est manifeste, comme l’attestent un fragment du jubé de Notre-Dame, figurant Adam et Ève et la chaudière de l’enfer (vers 1250, Paris, Musée du Louvre), et une étonnante gargouille provenant de Saint-Martin-des-Champs (vers 1240, Paris, Musée du Louvre, en dépôt au Musée de Cluny). Décapitée, la sculpture représente une femme dépoitraillée, probablement une Vierge de charité, loin de l’image galvaudée par le XIXe siècle de la gargouille à tête de monstre. Ces quelques sculptures valent à elles seules une visite à cette exposition un peu aride.
Commissaires : Xavier Dectot, conservateur au Musée de Cluny ; Meredith Cohen, chercheur à l’université d’Oxford
Scénographie : Flavio Bonuccelli et Philippe Maffre
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Un XIIIe siècle lapidaire
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Abonnez-vous dès 1 €PARIS, VILLE RAYONNANTE, jusqu’au 24 mai, Musée de Cluny, Musée national du Moyen Âge, 6, place Paul-Painlevé, 75005 Paris, tél. 01 53 73 78 16, www.musee-moyenage.fr, tlj sauf mardi, 9h15-17h45. Catalogue, éd. RMN, 128 p., 28 euros, ISBN 978-2-7118-5673-2
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Un XIIIe siècle lapidaire