Au début des années soixante, l’historien de l’art Leo Steinberg voyait dans les tableaux-collages de Robert Rauschenberg une « transformation en cours du monde extérieur, une constante ingestion de données brutes transposées et amassées sur un support trop chargé ». Cette formule convient parfaitement à l’exposition du Whitney Museum à New York, « Le Siècle américain : 1950-2000 », seconde partie d’un « viewer’s digest » à la fois dense et controversé de la création de notre siècle.
NEW YORK (de notre correspondant) - Si le passage du millénaire avait eu lieu un peu plus tôt, disons vers la fin des années quatre-vingt ou le début des années quatre-vingt-dix, le Whitney aurait sans doute traité très différemment cette seconde partie du “Siècle américain”, l’accompagnant d’un ensemble de théories déconstructivistes et de véhémentes prises de position politiques. Mais, en 1999, les révoltes culturelles des dernières décennies sont déjà lointaines. Et cette présentation de l’art depuis les années cinquante est remarquable par son absence de passion, d’engagement ou de révolte, et par l’insignifiance des textes d’histoire de l’art de son catalogue.
“Art et culture 1950-2000” débute avec les Expressionnistes abstraits et leurs désirs de se libérer des vestiges de la culture européenne, “des entraves de la mémoire, de l’association, de la nostalgie, de la légende et du mythe”, selon les mots de Barnett Newman. Comme le souligne fort justement Lisa Phillips, commissaire de l’exposition, cette liberté vis-à-vis de l’idéologie que proclamaient les peintres, “a accru le poids de leur œuvre face à certains événements politiques”. Mais, pour elle, le romantisme sublime de Pollock et de ses émules est devenu “nostalgie, légende et mythe”, source de rébellion pour les générations suivantes. “Pollock nous a amené à nous préoccuper des objets et de l’espace de notre vie quotidienne. Et même à nous laisser éblouir par eux”, écrivait Allan Kaprow, l’un des organisateurs des happenings qui ont mené au Pop Art et au Minimalisme, son contraire. Sont ensuite apparus, au fur et à mesure des détours de la dialectique de l’histoire, l’Art conceptuel et l’Art brut. Dès le début des années soixante-dix, Douglas Huebler était déjà conscient d’un trop plein d’art et observait : “Le monde est rempli d’objets plus ou moins intéressants. Je ne veux rien ajouter d’autre”.
Le parcours de l’exposition concerne presque exclusivement une certaine avant-garde “académique”. Si une place de choix est faite à la Guerre froide, aux revues et à la culture de consommation des années cinquante et soixante, les dessins cultes de Robert Crumb ou d’Art Spiegelman sont absents des cimaises. “Le Siècle américain” apparaît comme un projet nationaliste, réalisé au moment même où le chauvinisme et l’impérialisme de la culture américaine sont plus contestés que jamais. Il est vrai que ces vingt ou trente dernières années, l’institution a fait de la reconnaissance de la diversité culturelle l’un de ses objectifs principaux. Les dernières décennies de “1950-2000” présentent d’ailleurs de très nombreux artistes, comme Cindy Sherman, Adrian Piper, David Hammons, Janine Antoni, tous familiers des biennales du Whitney et autres expositions récentes. “Le Siècle américain” s’ouvre cependant à l’heure où l’avenir du musée est incertain. Son nouveau directeur, Maxwell Anderson, a remanié les départements et exclu de son équipe plusieurs personnalités de premier plan.
26 septembre-13 février, Whitney Museum of American Art, 945 Madison Avenue, New York, tél. 1 212 570 3676, tlj sauf lundi 11h-18h, jeudi 13h-20h.
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Un Whitney nationaliste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°89 du 24 septembre 1999, avec le titre suivant : Un Whitney nationaliste