L’Espace de l’Art concret a convié quinze artistes dont la réflexion fraie avec la notion de projet architectural, du plan à la maquette et jusqu’à la construction, entre utopie et réalité.
On sait la période estivale propice aux rêveries. Mais à quoi les artistes songent-ils ? D’architecture à n’en point douter. À preuve, cette exposition intitulée « Rêves d’architecture » déployée à l’Espace de l’Art concret, à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), dans la partie ancienne de l’institution, en l’occurrence le château. Elle réunit quinze plasticiens « qui intègrent dans leur démarche une réflexion sur l’architecture en reprenant dans leur travail les différentes étapes d’élaboration du projet architectural : de la conception à la réalisation, du plan à la maquette, jusqu’à une possible mise en œuvre de la construction ». Le parcours est tout simplement bluffant.
Avec Palme di Oscar [« Palmiers d’Oscar »] (2008), Andrea Sala conçoit deux sculptures en ciment dans lesquelles on devine la silhouette d’éléments de bâtiments érigés à Brasilia par le maître Oscar Niemeyer. Mais c’est là l’exception à la règle. Car, tout au long du parcours, plus que la figure fantasmée de l’architecte apparaît, en filigrane, sa pratique, par ailleurs tout autant fantasmée. Les différentes étapes du projet architectural sont passées au tamis par les artistes, à commencer par les documents graphiques et techniques. Ainsi Wilson Trouvé dessine-t-il, à l’aide de gros Lego Duplo trempés dans l’encre de Chine, des plans d’immeuble plus vrais que nature en juxtaposant des formes géométriques induites par les modules de ce jeu de construction. Avec Maisons témoins (2012), Laurent Mareschal trace, lui, directement au sol avec du sucre roux les plans (au nombre de neuf) de toutes les maisons qu’il a habitées. La méthode évoque ces représentations stylisées que sont les mandalas de sable coloré des religions hindouiste et bouddhiste, lesquelles se transforment ici en un jeu subtil entre le pérenne – l’empreinte des murs – et l’éphémère – la fragilité du « matériau ».
Labyrinthe moderniste
À partir de projets non seulement virtuels mais aussi, parfois, réalisés, Veit Stratmann produit des images abstraites qui subliment le graphisme purement technique du dessin d’architecture, comme dans ce travail sur calque intitulé Schéma du comptoir du Nylon (2005). Davantage dans l’épaisseur encore, Eden Morfaux réalise une série de bas-reliefs en béton, Relief Concret (2010), sur lesquels des façades de bâtiments des années 1960 se métamorphosent en motifs stylisés dont les effets rappellent certaines œuvres d’art optique.
Fatalement, échelle oblige, représenter l’architecture par le biais d’une maquette est une pratique courante. Celle en bois et en carton de Rémy Jacquier, Pavillon Parker no 6 (2011) est un labyrinthe moderniste truffé de rampes tel un garage d’enfant, voire un « espace impossible » à la Escher. Sorte de work in progress, il est « augmenté » à chaque présentation.
S’il est un acte ici amplement exploré, c’est bien celui de « construire ». Nombre de pièces le suggèrent. Ainsi, cette œuvre de Benjamin Sabatier, Aquarium (2012), cube parfait dont la partie supérieure, de béton gris, paraît étonnamment « flotter » sur la partie inférieure, de plâtre très blanc. Pour peu, on ressentirait le poids de l’œuvre. Autre pièce de Sabatier plus explicite encore : Rack II (2010) consiste en deux moulages en ciment grandeur nature de sacs de… ciment, posés presque en lévitation sur une étagère à crémaillère. De visuellement aérien, le béton peut aussi devenir visuellement fragile. Dans cette installation de Morgane Tschiember baptisée Bubbles (2012), des bulles de verre soufflé épousent comme des excroissances divers éléments architectoniques en béton moulé, prenant parfois le dessus dans cet insolite duel entre organique et industriel.
Le matériau, enfin, peut devenir poussière. Les 3 Tectoèdres (2009) de Simon Boudvin sont comme des polyèdres que l’artiste érige à l’aide de gravats récupérés dans des entrepôts détruits, puis réduits en poudre. La mémoire de ces lieux décatis émerge de ces formes géométriques, dorénavant impeccables. Avec une centaine de carrelages noirs dont les bords ont au préalable été soigneusement ébréchés avant d’être tous réagencés en un format carré, Wilson Trouvé conçoit un curieux tableau intitulé Frou-Frou (2011), étonnant « négatif » d’une œuvre de Jean Pierre Raynaud en dépôt justement à l’Espace de l’Art concret, Fragment de la maison, couloir haut.
Seuls deux artistes, en définitive, passent « vraiment » à l’acte : Vincent Ganivet et Laurent Mareschal. Le premier, avec Caténaires vrillées (2011) érige in situ, à l’aide de briques et de simples cales de bois, trois arches splendides qui tiennent comme par enchantement, aucun « liant » ne venant consolider les différents modules. Le second construit lui aussi, mais « en creux ». Dans une vidéo intitulée White Line (2007-2008), on le voit près de Jérusalem, en plein territoire palestinien, esquisser un parcours dont il laisse une trace sur le sol grâce à de la poudre blanche s’échappant d’un sac troué. Sa White Line représente la nouvelle frontière que veut tracer l’occupant israélien, laquelle réduit encore le périmètre palestinien d’alors. Le propos, éminemment politique, est cinglant. Cette ligne blanche qui n’est pas encore architecture est plus forte symboliquement que l’architecture elle-même. Certains habitants ne s’y trompent pas, enjoignant l’artiste de s’interrompre : « Ne reviens jamais ici ! », lui intiment-ils.
En écho à la présente exposition et pour en prolonger le plaisir, le visiteur pourra découvrir une seconde présentation intitulée « Yves Klein/Claude Parent : Le mémorial, projet d’architecture ». On y voit les recherches communes des deux créateurs, ainsi que le fameux « Mémorial Yves Klein » projeté en 1964, après la mort du peintre, par l’« architecte de l’oblique ». Cette construction jadis prévue sur un terrain à Saint-Paul de Vence, à quelques encablures de Mouans-Sartoux, n’est, pour l’heure, qu’un rêve… mais d’architecte cette fois !
Commissariat : Fabienne Fulchéri assistée d’Alexandra Deslys
jusqu’au 27 octobre, château de Mouans, 06370 Mouans-Sartoux, tél. 04 93 75 71 50, www.espacedelartconcret.fr tlj 11h-19h jusqu’au 31 août, du mercredi au dimanche 13h-18h à partir du 1er septembre.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un rêve d’architecture
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Andrea Sala, Palme di Oscar, 2012, pastel, béton. Courtesy de l’artiste et Federica Schiavo Gallery, Rome. © Photo : EAC/Estelle Epinette.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Un rêve d’architecture