Des avant-gardes à l’art des régimes totalitaires, l’exposition « Triomphe et chute de l’art moderne : Weimar, un exemple allemand » dresse un portrait provocant de l’art allemand. Analogie entre art nazi et communiste, condamnation sans appel des peintres de
l’ex-RDA, sont autant d’occasions d’un rappel douloureux du passé.
BERLIN (de nos correspondantes) - Depuis la chute du Mur de Berlin, le débat est vif à propos de la place à accorder aux créateurs de l’ex-RDA dans l’histoire de l’art allemand. Parfois accusés de collaboration, ils sont aussi coupables d’avoir pérennisé un style académique en complète ignorance des courants artistiques contemporains. Le Réalisme socialiste de l’ex-RDA a été dénoncé par des transfuges comme Baselitz, mais quelques critiques, tel Edward Beaucamp, du Frankfurter Allgemeine Zeitung, estiment qu’il ne faut pas généraliser. Pour eux, certains artistes est-allemands, à l’exemple de Werner Tübke, possèdent un réel talent.
Avec la tenue de l’exposition “Triomphe et chute de l’art moderne : Weimar, un exemple allemand”, la discussion a été relancée, d’autant que c’est cette ville qui l’accueille. La capitale culturelle européenne de l’année 1999 est célèbre pour sa culture des Lumières, mais aussi pour son rejet des différents mouvements qui ont transité en ses murs, à l’instar du Bauhaus. Prenant pour point de départ les avant-gardes du début du siècle, l’exposition se poursuit jusqu’à l’art des époques nazie et communiste. C’est d’ailleurs ce rapprochement qui est au centre de la controverse. Organisée sous le commissariat de l’Allemand de l’Ouest Achim Preiss, la manifestation relie les productions artistiques des deux régimes et différencie à peine les idéologies sous-jacentes et les qualités propres à chacune. Plus indécent encore, les cinq cents œuvres exposées sont entassées au Mehrzweckhalle (salle polyvalente), un bâtiment délabré construit sous le Troisième Reich. Et enfin, le coup de grâce : l’accrochage a été fait sur des cimaises recouvertes de plastique gris, semblable à celui utilisé pour les sacs poubelles. Le message est on ne peut plus clair.
Un passé encore vivant
Avant l’inauguration, on craignait que la présentation d’art nazi à une telle échelle ne soit perçue comme une provocation – en effet, l’événement aurait pu attirer des skinheads, problème relativement récent dans cette petite ville –, mais, en fait, le scandale s’est porté sur la section intitulée “Officiel et Officieux”. Cette partie de l’exposition, consacrée à la RDA, rassemble des œuvres d’artistes qui étaient soutenus par le régime mais aussi celles de dissidents qui travaillaient dans l’ombre. Le conflit a été poussé à son paroxysme lorsque les principaux prêteurs tels l’Académie des arts de Berlin et des artistes est-allemands représentés dans l’exposition – parmi lesquels Werner Tübke, l’une des dernières icônes de l’art “officiel” de RDA, ou Neo Rauch de Leipzig – ont réclamé le retour de leurs œuvres. L’Académie a condamné dans un communiqué “l’arrogance inégalable” d’Achim Preiss, et Neo Rauch a déclaré qu’il “sortirait son œuvre de cette ruine”, où elle est considérée comme une “curiosité ethnologique”. Quand Achim Preiss a répondu qu’il appellerait la police en cas de tentative de retrait des œuvres, Neo Rauch a demandé une explication “en tête à tête”. Ironie du sort, l’exposition avait pour vocation de montrer comment le mouvement progressiste s’était sans cesse heurté à l’étroitesse d’esprit ambiante, surtout à Weimar, ville qui semble être prédestinée aux épreuves de force.
Ralf Bothe, directeur de la Kunstsammlung, a pris la défense de cette manifestation en rendant public le nombre des visiteurs (vingt mille en vingt-deux jours) ainsi que certains commentaires élogieux inscrits dans le livre d’or. Mais il a également fait modifier l’accrochage. Les blessures laissées par la réunification doivent encore se cicatriser.
Mehrzweckhalle, Friedenstrasse, Weimar, tél. 49 36 43 54 61 20, tlj 10h-22h.
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Un passé qui ne passe pas
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°87 du 27 août 1999, avec le titre suivant : Un passé qui ne passe pas