De la Sainte Cécile de Raphaël au Saint Roch de Parmigianino, Bologne a été soumise, tout au long du Cinquecento, à une série d’impulsions, de chocs, en fonction desquels ses artistes ont cherché à se définir. La sélection opérée dans le fonds du Louvre, particulièrement riche pour cette période, offre l’image d’un foyer artistique qui, pour avoir été ouvert aux influences extérieures, n’en a pas moins nourri en son sein des artistes de premier plan, tels Amico Aspertini ou Orazio Samacchini. Nous les faire découvrir n’est pas le moindre mérite de cette exposition.
PARIS - À la fin du XVIe siècle, les trois Carrache – comme une exposition au Louvre en 1994 l’avait montré – jettent les bases d’un classicisme bientôt qualifié de bolonais. Naturellement, cette “réforme” n’a pas germé ex nihilo, mais s’est au contraire nourrie d’une tradition, déjà fermement établie en ces dernières décennies du Cinquecento, ainsi que le souligne la sélection opérée par Dominique Cordellier, du Département des arts graphiques, et Marzia Faietti, directrice du Cabinet des dessins de la Pinacothèque nationale de Bologne.
Dès les premières années du XVIe siècle, une œuvre précoce comme Judith et la tête d’Holopherne de Francesco Francia montre un niveau d’accomplissement remarquable. Représentée au moment où elle dépose la tête tranchée du général syrien dans un sac que lui tend sa servante, l’héroïne biblique, saisie dans un gracieux mouvement digne d’un ballet, ne laisse pas transparaître sur ses traits apaisés le caractère dramatique de la scène. Contredisant cette apparente sérénité, le mouvement bouillonnant, agitant drapés et rubans selon un procédé emprunté à l’antique, fait naître une tension, qui exprime avec élégance le déchirement auquel la vertueuse Judith a été confrontée, partagée entre son horreur du crime et sa mission libératrice.
À la suite de ce coup de génie inaugural, l’exposition met en scène, dans la salle de la Chapelle, pour l’occasion tapissée de feuilles de papier beige (du Népal), les forts courants qui structurent l’activité à Bologne. D’un côté, l’arrivée de L’Extase de sainte Cécile (1515), de Raphaël, représentée par un dessin de Penni, allait donner un élan irrésistible au classicisme, avec des artistes comme Biagio Pupini ou Innocenzo da Imola. Avec son tourbillon de figures autour d’un puissant portique, le carton monumental de Baldassare Peruzzi (1522-1523) représentant L’Adoration des mages (prêté par le British Museum) apporte sa contribution non moins déterminante à cette passion classique.
À celle-ci répond l’art tourmenté d’Amico Aspertini. Tout aussi versé dans l’étude de l’antique, cet artiste qui “ne voulut jamais se soumettre à quelques manières que ce soit” (Malvasia) apparaît loin de la “calme grandeur” de ses rivaux. S’exprime au contraire dans son œuvre, selon les termes de Marzia Faietti, une “conception douloureuse de l’existence” dont la Mise au tombeau baignée de sombres lueurs est exemplaire. Dommage que ses cinquante ans de carrière ne soient illustrés que par trois dessins.
Deuxième capitale des États pontificaux, Bologne entretient évidemment des liens privilégiés avec Rome, d’où arrive Parmigianino en 1527. Fuyant le sac de l’Urbs par les Impériaux, il demeure trois ans à Bologne et se voit confier d’importantes commandes. Jalon essentiel de la diffusion du maniérisme dans la cité émilienne, le Saint Roch peint pour San Petronio est évoqué par une exceptionnelle étude préparatoire (recto verso), dans laquelle la figure, animée à coups de plume et de lavis, semble traversée par le souffle divin. Bientôt, d’autres allaient associer cette veine raffinée avec la puissance michelangelesque. Dans son Éole, Pellegrino Tibaldi sait tempérer la vigueur de l’anatomie par la sensualité de la sanguine. À l’instar de cette étude réalisée pour les fresques du Palazzo Poggi, le Projet d’horloge monumentale de Nicolò dell’Abate témoigne du développement des grands chantiers décoratifs à Bologne.
Comme ces derniers, un artiste tel qu’Orazio Samacchini tente, dans la seconde moitié du siècle, une synthèse mêlant Raphaël, Michel-Ange et Corrège “sur un substrat sédimenté de culture vasarienne”. Une démarche qui ouvre la voie aux Carrache, qui ont regardé avec beaucoup d’attention son œuvre. Dans ses dessins, tel Putti désarmant Cupidon endormi, il se distingue par le soin maniaque apporté à chaque partie de ses compositions, qui leur confère une singulière densité. Ce qui lui vaut de figurer aux côtés de Sabatini, Cotignola ou Mascarino dans le fameux Libro de’ Disegni de Giorgio Vasari.
Si le Toscan n’a pas été accueilli très chaleureusement par les artistes locaux lors de sa venue en 1539, il a su reconnaître leurs qualités et leur rendre un hommage discret.
- UN SIÈCLE DE DESSIN À BOLOGNE (1480-1580), jusqu’au 2 juillet, Musée du Louvre, salle de la Chapelle, 75001 Paris, tél. 01 40 20 51 51, tlj sauf mardi 9h-17h45, le mercredi jusqu’à 21h45. Catalogue, RMN, 224 p., 240 F.
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Un carrefour fertile
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : Un carrefour fertile