À quatre-vingts ans, Morellet est un artiste comblé.”ˆReconnu dans le monde entier, il continue à créer une œuvre ludique et légère, où la mathématique se mêle à la vivacité de l’esprit.
Si l’on peut affirmer – sans aucunement l’offenser – que géométrie et humour sont les deux « mamelles » de Morellet, c’est qu’il ne cesse depuis plus de cinquante ans de puiser à leur source. L’artiste s’est ainsi donné les moyens d’une distanciation en développant un art systématique et sériel tout en prenant soin d’intituler chaque fois ses œuvres et ses expositions sur le mode de la pirouette.
Son dégoût du subjectif est tel qu’il se méfie comme de la peste de « la main et ses tremblements » et que tous ses soins visent à supprimer tout investissement personnel.
En 1982, François Morellet disait à Serge Lemoine : « Si je crois à quelque chose et très gravement, c’est à la frivolité de l’art et aussi bien sûr au plaisir qu’il donne ». C’était dans le cadre d’un
entretien accompagnant son exposition aux musées de Chambéry et d’Angers, intitulée « Désintégrations architecturales ». De retour au pays du roi René, l’artiste a choisi de présenter un
ensemble de ce qu’il appelle ses « Récentes fantaisies ». Morellet ne se prendrait-il pas au sérieux ?
La rigueur de la géométrie mariée à légèreté de l’humour
En réalité, là n’est pas la question. S’il est gourmand de géométrie, ce n’est pas de façon doctrinaire, mais bien plutôt pour en jouer et en déjouer sans fin les règles.
Une attitude ambivalente qu’il explique par l’usage qu’il en a fait : « On commence dans sa jeunesse par vouloir tout justifier par des idéalismes qui vous arrangent, et puis on garde les mêmes goûts mais on remplace la morale puérile par un cynisme sénile. Mon père, vieux, était plus frivole que moi jeune, mais moi vieux j’ai dû le rattraper », confiait-il en 1986.
Jeux de mots, calembours, contrepèteries, etc., le fils doit beaucoup à son père, Charles Morellet, auteur d’un ouvrage de citations plein d’allant et admirateur inconditionnel d’Alphonse Allais. Si c’est tardivement que l’artiste découvrit ce dernier, l’ouvrage paternel n’a cessé en revanche de l’accompagner.
« Il avait un peu honte de ses calembours », se rappelle François à propos de son père, et citait je ne sais plus qui : « Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole ; en attendant, il fientait quand même, mais bien plus en parlant qu’en écrivant. »
Morellet a toujours revendiqué le fait de « fienter » lui-même aussi. On peut même se risquer à dire que tous les glissements, les travers, les écarts géométriques dont son œuvre se repaît ne sont finalement que des sortes de fientes plastiques. Les noms sont du moins là pour nous conduire à le penser : Geometree, Steel-Life, Géométrie dans les spasmes, Hommage à Lamour, Strip-teasing, Néon abscon, etc.
L’art est aussi un jeu qu’il s’agit de prendre au sérieux
Immerge-t-il pour partie un monumental carré de pierre blanche dans le lac du Domaine de Kerguehennec et il l’appelle Le Naufrage de Malevitch ! Trace-t-il au crayon un arc de cercle reliant les deux points opposés d’un tube de néon coloré et d’une branche fixés sur une toile carrée et il baptise son œuvre du nom de Courbettes ! Imagine-t-il de doubler la structure parallélépipédique du bâtiment du FNAC (Fonds national d’art contemporain) à la Défense d’une énorme charpente métallique en bascule qui pénètre le sol et il la désigne du nom de La Défonce !
À considérer le catalogue de son œuvre, on mesure qu’il n’en a pas toujours été ainsi et que certains travaux font référence à des énoncés davantage sérieux, souvent descriptifs, voire quelque peu rébarbatifs. Lignes parallèles, Angles droits, Interférences de 3 trames différentes, Grilles se déformant, Ligne horizontale passant sur 3 carrés, Carré (miroir) plié (coupé) à 90° en 2 parties égales, 6 répartitions aléatoires de carrés noir et blanc d’après les chiffres pairs et impairs du nombre π, etc., etc.
En revanche, à en juger par toutes les déclinaisons auxquelles elles l’entraînent, il semblerait que le recours au nombre π excite chez lui son côté abracadabrantesque. Non seulement au regard des propositions qui en sont directement déduites mais de l’ensemble du travail.
Une pièce comme Avalanche dans l’organisation désordonnée qu’elle suggère en présente du moins tous les symptômes, de même ces sortes de monumentales sculptures intitulées Superposition aux allures de couple copulant.
Géométrie et humour, certes, mais surtout plaisir et frivolité : en voilà une vigoureuse leçon pour un nonagénaire !
1926 Naissance à Cholet (49). 1950 Morellet adopte le langage abstrait. 1961 Membre fondateur du GRAV. 1963 Premières utilisations de tubes de néon. 1971 « Désintégrations architecturales », commande de la Ville de Paris. 1983 François Morellet inaugure une nouvelle série, les « Géométrées ». 1991 Le musée de Grenoble lui consacre une rétrospective. 2000 Rétrospective à la Galeie nationale du Jeu de Paume. 2006 Il continue de recevoir des commandes publiques et privées.
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Un art géométrique bâti sur l’humour et la frivolité
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques À travers l’exposition « Récentes fantaisies », le musée des Beaux-Arts d’Angers accueille les œuvres de François Morellet du 25 juin au 12 novembre 2006, du mardi au dimanche de 12 h à 18 h, nocturne le premier vendredi du mois jusqu’à 20 h. Tarifs : 4 € et 3 € (tarif réduit pour tous à partir de 18 h les vendredis en nocturnes). Musée des Beaux-Arts, 14, rue du musée, 49000 Angers, tél. : 02 41 05 38 00.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°581 du 1 juin 2006, avec le titre suivant : Un art géométrique bâti sur l’humour et la frivolité