Le 25 février 1970, aux premiers heures de la journée, Mark Rothko se tranchait les veines dans son atelier. À 67 ans , il laissait derrière lui l’une des œuvres les plus originales et les plus fortes de l’abstraction américaine de l’après-guerre. Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris propose, en collaboration avec la National Gallery of Art de Washington, la première grande rétrospective de l’artiste à Paris depuis 1972.
PARIS. À partir de 1949, Markus Rothkowitz, peintre américain d’origine russe devenu Mark Rothko, abandonne toute figuration pour s’orienter vers la peinture pure. Il réalise de grands formats articulés autour d’aplats rectangulaires de couleur, propres à plonger le spectateur dans l’œuvre elle-même, à faire naître chez lui une parfaite sensation. “Je ne m’intéresse qu’à l’expression des émotions humaines fondamentales – le tragique, l’extase, la fatalité –, et le fait que beaucoup de gens s’effondrent et pleurent en face de mes peintures montre que je communique ces émotions humaines fondamentales”, déclare-t-il dans Conversations with Artists (1957) de Seldan Rodman. Rothko emploie surtout des couleurs chaudes et décline de multiples nuances de rouge. Ses œuvres sont alors débarrassées de tout sujet perturbateur. Le peintre fait ainsi le même constat que Kandinsky, au début du siècle, après la découverte par ce dernier de l’une de ses toiles à l’envers : “L’objet nuisait à (ses) tableaux”, selon la formule employée par le Russe dans Regard sur le passé, en 1913. Cette rétrospective met particulièrement en valeur les créations datant d’après 1950, la période de Rothko qualifiée aujourd’hui de “classique”.
Intensité dramatique
En 1958, Rothko est contacté pour réaliser une décoration murale dans le restaurant “Four Seasons” du Seagram Building que Philip Johnson est en train de construire. Il commence à travailler sur ce projet mais, en 1960, après y avoir dîné et trouvant l’endroit trop prétentieux, il décide de renoncer à cette commande. En décembre 1969, peu avant son suicide, il offre neuf tableaux issus de ce programme à la Tate Gallery de Londres, peintures qui sont aujourd’hui exposées exceptionnellement au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Ces œuvres, que caractérise un assombrissement de sa palette, annoncent les tableaux de sa dernière période, marquée par la montée en puissance d’une intensité dramatique intrinsèque.
Un art capable de remodeler le monde
Rothko s’est souvent comporté comme un “messie”, voire comme un “prophète”, même si certains pensaient qu’il jouait en fait un rôle, lui qui avait voulu dans sa jeunesse devenir comédien. Celui que le poète Stanley Kunitz qualifiait – d’ailleurs sans lui déplaire – de “dernier rabbin de l’art occidental”, a prononcé en 1958 une conférence au Pratt Institute de Brooklyn, où il déclarait : “L’acte d’Abraham est absolument unique. Ce qu’il a fait était incompréhensible. Il n’existait aucune loi universelle qui pardonnait un acte tel que celui qu’Abraham devait exécuter. Dès qu’un acte est accompli par un Individu, il devient universel. C’est comme le rôle de l’artiste”. “Mark Rothko semble pourtant ne s’être jamais un instant départi de cette conviction que c’est l’artiste qui doit faire l’histoire, et non l’inverse, écrit encore Éric Michaud dans le catalogue de l’exposition parisienne. Sa croyance en la toute-puissance d’un art capable de remodeler le monde était inébranlable”.
Outre les peintures abstraites, qui témoignent de l’originalité de sa démarche et de sa pensée, la rétrospective réunit également des tableaux réalistes de ses débuts, dans les années trente, où il s’intéresse notamment à des scènes de rue. Au total, ce sont plus de soixante-dix œuvres de 1935 à 1969 que le musée parisien nous donne à voir de Mark Rothko, l’une des figures majeures de l’abstraction américaine de l’après-guerre.
13 janvier-18 avril, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, tlj sauf lundi 10h-17h30, samedi et dimanche 10h-18h45. Catalogue, 292 p., 295 F.
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Un art de prophète
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°74 du 8 janvier 1999, avec le titre suivant : Un art de prophète