Un aigle déployé à la monnaie

Voilà ce que Marcel Broodthaers (1924-1976) fait inscrire sur le carton d’invitation de sa première exposition personnelle en galerie à Bruxelles, en 1964, quand il y présente ses cinquante exemplaires figés dans du plâtre de son dernier recueil de poésie Pense-Bête. Cette idée d’insincérité parsème sa démarche, entre réflexion et dérision, rappelant par là le travail d’un autre célèbre Marcel, Duchamp celui-là. Pour la première fois, à La Monnaie de Paris, la commissaire Chiara Parisi et l’épouse de Broodthaers ont reconstitué des détails du fameux Musée d’art moderne, Département des aigles, créé par l’artiste chez lui en 1968. Pendant quatre ans, Marcel Broodthaers a en effet créé des sections d’un musée dont il s’est autoproclamé directeur et conservateur. Apparu dans l’un de ses vieux poèmes publiés en 1961, l’aigle donne son nom au département et devient le sujet de la quantité d’objets, présentés dans la « Section des figures », que Marcel Broodthaers va glaner auprès de ses amis, mais également auprès des musées pour des prêts. Magritte n’est jamais bien loin, comme en témoigne l’unique  cartel parmi tous les objets présentés : « Ceci n’est pas une œuvre d’art. » L’artiste n’a pas choisi l’aigle par hasard, comme il a tenté de le faire croire. Animal éminemment impérial et puissant, l’aigle n’est pas sans ambiguïté. En 1972, pour la Documenta V, Broodthaers avait présenté la « Section publicité » de son musée : plus d’objets ici, seulement les images des œuvres de la « Section des figures ». Inlassablement, il interroge la muséographie et les caractéristiques d’une collection. Démarche qui désemparerait le visiteur, si elle n’était pas explicitée dans l’exposition par des médiateurs de manière claire et pertinente.