PARIS
Tentures, couleurs, images, indices… : au Palais de Tokyo, l’artiste invite à une plongée dans un milieu mi-aquatique, mi-rural secrètement fictionnalisé par ses soins.
Paris. Avec cette exposition, Ulla von Brandenburg (née en 1974 à Karlsruhe, installée en région parisienne) explique avoir voulu faire rentrer le monde rural et marin dans l’environnement urbain du Palais de Tokyo. Une meule de foin odoriférante, comme sortie d’un paysage de Manet ou de Pissarro, trône ainsi sur le parcours, où l’on croise également une nasse à poissons en osier et des cannes à pêche. Mais ce que l’artiste fait surtout pénétrer dans l’architecture du centre d’art, c’est le spectacle vivant, auquel elle emprunte une partie de son vocabulaire symbolique et formel. Le tissu lui sert une nouvelle fois à définir l’espace à l’intérieur duquel se déploie son univers. Le visiteur traverse pour commencer une série de cercles évidés formant une perspective de monochromes textiles, focale spectaculaire sans être pour autant intimidante tant les étoffes font intimement partie de notre quotidien, de notre histoire. Les tentures forment ensuite de vastes cabanes aux replis drapés qui rythment la progression de la visite en lui conférant différentes colorations, teintées de leurs vies antérieures. Ce drap rouge évoque celui des murs du musée, des tableaux y ont laissé leurs ombres en pochoir ; cette toile est celle d’une voile de bateau, battue par les intempéries.
Ces hors-champ suggèrent d’autres récits, d’autres contextes, d’autres aventures. L’exposition est un cirque vide empli de souvenirs, ouvert sur un ailleurs. Celui qui aura vu la monographie organisée l’an dernier par le Mrac de Sérignan (Hérault), dans laquelle chaque salle proposait un nouveau thème, une nouvelle piste, pourra, c’est selon, trouver cette scénographie un peu aride, ou simplement épurée. De rares objets jalonnent le cheminement à la façon d’indices mystérieux. Ici un tableau posé au sol, portrait d’un homme en costume d’ours, là des craies géantes, un harmonium indien, plus loin des bols. Les jours où les performances sont activées, on croise également cinq danseurs en costume qui manipulent ces accessoires, dialoguent avec leurs poupées jumelles, entonnent des chants. Leur présence annonce celle du film diffusé au cœur de l’exposition et dont ils sont les acteurs. Tourné en 16 millimètres, celui-ci a pour cadre le théâtre du Peuple à Bussang, dans les Vosges, un lieu hors du temps où l’artiste semble avoir capté un rituel étrange, comme le scénario d’un rêve ou d’une utopie. Le décor de ce théâtre humaniste de la fin du XIXe siècle ouvre sur la forêt vosgienne, à la façon d’une boîte à double fond, numéro de magie révélant son trucage. La réalité de ce cadre naturel se confond pourtant avec celle du conte, impression onirique qui se poursuit dans la dernière salle, aménagée à la façon d’un dédale d’écrans de tissus sur lesquels sont projetés des films aquatiques. On y voit flotter dans un ballet silencieux des objets aperçus dans l’exposition, images floues enchâssées dans l’image, brouillant davantage la frontière entre le réel et l’imaginaire, immersion finale dans l’inconscient, pour autant que l’on accepte de plonger.
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Ulla von Brandenburg, de la scène à l’exposition et retour
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Ulla von Brandenburg, de la scène à l’exposition et retour