Nan Goldin a toujours fait de sa vie (rencontres, conquêtes, échecs, amitiés et amours), des romans et parfois des tragédies. Des journaux intimes non romancés qui témoignent d’un regard sentimental, une qualité d’empathie à double tranchant. Entière, elle s’expose aux erreurs et aux brûlures ; la folie, la drogue, les idées funestes ont dansé avec elle d’un peu trop près ces dernières années. Il faut dire que le background est lourd, sa sœur ayant mis fin à ses jours à dix-huit ans lors de sa première sortie de l’institut psychiatrique dans lequel elle avait été internée une grande partie de son adolescence. Nan Goldin s’est enfoncée dans les milieux marginaux en s’y brûlant presque les ailes. Pourtant ses clichés semblaient témoigner d’un certain apaisement. Ces images d’équilibre masquaient une descente aux enfers qu’elle a décidé de réorchestrer, dans l’espace à l’histoire si sombre et lourde de la chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière. Lieu de détention des femmes et des fillettes du xviie au xixe siècle à Paris, la Salpêtrière a fait office d’hospice, de prison, d’asile, de maison de force à partir de 1684, pour réhabiliter des prostituées et autres « débauchées ». Elle opéra aussi comme lieu de détention à la demande des familles et vécut des heures sombres, comme ce massacre de trente-cinq incurables en septembre 1792 ou des mariages forcés entre orphelins de différents établissements, avant de devenir un hôpital au xixe siècle. Bien que l’asile fermât en 1921 et l’hospice en 1968, la présence de ces femmes semblait encore forte lorsque l’installation de Jenny Holzer s’était laissé submerger par leurs douleurs lors du Festival d’automne 2001. Nan Goldin n’y résistera pas non plus cette année en imbriquant son histoire personnelle à celle plus tragique encore du martyre de sainte Barbe. Une manière de postuler à la canonisation ? C’est un risque si la démonstration s’avère par trop évidente, avec une emphase qui ne sied jamais vraiment bien aux saintes. Barbe, douce enfant de Dioscore, fut enfermée une longue année dans une tour puis décapitée par son père car elle refusait d’abjurer sa foi chrétienne, une foi qui la vengera en foudroyant son géniteur. Une histoire d’enfermement, d’acharnement, de passion, et de folie racontée en voix off et confondue, intimement mêlée, à celle de Nan Goldin et ses sœurs de souffrance. Une mémoire honteuse qu’on préfère habituellement cacher.
« Nan Goldin, sœurs, saintes et sibylles », PARIS, chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, 47 bd de l’Hôpital, XIIIe, tél. 01 53 45 17 17, dans le cadre du Festival d’automne à Paris, 16 septembre-1er novembre.
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Traitement de choc
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°561 du 1 septembre 2004, avec le titre suivant : Traitement de choc