Art contemporain

Toute l’œuvre étonnante d’Hubert Duprat

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 2 décembre 2020 - 797 mots

PARIS

Artiste rare, opérant en marge de la scène contemporaine, Hubert Duprat est consacré par une grande rétrospective au Musée d’art moderne de Paris.

Paris. Si l’on devait d’un coup découvrir l’œuvre et la démarche d’Hubert Duprat (né en 1957), par où pourrait-on commencer ? Coupé-cloué (1991-1994), pièce composée de quatre troncs couchés entièrement gainés de clous de tapissier en laiton, est placée en exergue du parcours de l’exposition. Cet hybride doré, entre nature et culture, sert de métaphore liminaire pour aborder un travail qui emprunte à l’histoire des arts, des sciences et des techniques, multipliant les énigmes et les occasions d’émerveillement, flirtant aussi bien avec l’ornemental qu’avec l’abstraction.

Plus loin, des tubes de polyester blanc aux courbes organiques dont l’intérieur sombre étincelle d’hématites laissent penser que, sculptures à l’envers, ils ont été retournés Comme un gant (2004). Des plaquettes d’ambre collées forment une coquille translucide que l’on croirait soufflée (Nord, 1997-1998), un cylindre repose sur l’alignement improbable de cubes de pyrite, dont on dit que c’est l’or des fous (Sans titre, 2007-2011). Sculptures en creux ou reposant sur du vide, oscillant entre le prosaïque et le sublime, ces créations invitent à se questionner de façon naïve sur l’opération ayant permis leur existence. Cette interrogation se double d’une incertitude sur la nature d’objets issus de pratiques – orfèvrerie, marqueterie, tapisserie – relevant par ailleurs davantage de l’artisanat que de l’art.

L’époque de leur confection est également incertaine, entre avant-hier et quelques milliers d’années, à l’instar de Cassé-collé (1991-1994, roche fracturée et recollée avec ses cassures disjointes apparentes, façon modèle préhistorique, taille directe conjuguée au participe passé pour sortir des injonctions de l’avant-garde (peut-être en souligner l’échec). Et au final, quoi, quand, comment ? Autant de questions susceptibles de déclencher chez celui qui regarde une intense gymnastique spéculative. Ainsi aussi des Bêtes (1992-1999), en silex taillé, dont les contours dentelés évoquent des têtes d’animaux, du moins celles, schématiques, qu’auraient formées des mains jouant à se projeter en théâtre d’ombres. La dureté extrême de la pierre incisive rejoint ainsi un flou ludique qui désarme le regard. Quant à Volos (2013-2020), hache polie plantée dans un pain d’argile, aussi élémentaire que mystérieuse dans sa symbolique, c’est la seule figure anthropomorphe que l’on croisera dans l’exposition.

Du concept à l’exécution déléguée

On remarque par ailleurs que les dates signalées sur les cartels indiquent souvent le temps long écoulé entre la conception et la réalisation de la plupart des œuvres. Cependant, et bien que celles-ci requièrent des savoir-faire artisanaux, l’artiste ne passe pas son temps dans l’atelier : il n’en a pas. L’exécution est confiée à un expert, le geste étudié, puis délégué.

La place de l’atelier est cependant très importante dans l’œuvre d’Hubert Duprat comme le montre l’exposition, à travers trois ensembles. Il s’agit d’abord d’une série de photographies réalisées dans les années 1980, selon le principe de la chambre obscure. L’artiste autodidacte se tient dans la pièce qui lui sert d’atelier. À la façon d’un Mario Merz, il s’interroge sur son rôle, la nature et le sens de la production artistique : Che fare ? Une perforation dans un carton obturant une fenêtre laisse pénétrer la lumière de l’extérieur et vient lui livrer un début de réponse, « un motif » : la pièce se transforme en camera obscura. « En faisant la nuit, je captais le jour », explique-t-il. L’espace fermé s’ouvre alors sur le monde, qu’il accueille, comme une révélation, avec son ciel et ses façades renversées (L’Atelier ou la Montée des images, Cibachromes, 1983-1985). À partir de cette série, Duprat en commence une autre, reproduisant, par le procédé de la marqueterie les lignes de fuite de son studio sur de grands panneaux de contreplaqué. Incrustations de galuchat, de buis, d’ivoire, de fanons de baleine… : la variété des matières utilisées en filets illustre celle des différents règnes (animal, végétal, minéral).

Une troisième série consiste en installations architecturales de béton sur piliers. Leur inutile monumentalité en suspens contraste avec la fragilité des cinq minuscules Tubes de trichoptère présentés un peu plus loin sous vitrine, et qui datent de la même époque. Ces fourreaux délicats ont été confectionnés par des larves qui fabriquent, dans le début aquatique de leur existence, un abri protégeant leur mue. L’artiste leur a fourni pour leur ouvrage une matière première précieuse : pierres, perles et fil d’or. Là encore, l’habitacle fait œuvre. La collaboration entre Duprat et les insectes, au-delà d’une expérience brevetée, a nourri pendant plusieurs décennies une impressionnante et très hétéroclite quête documentaire, présentée dans son intégralité au sous-sol du musée. Elle prend désormais aussi la forme imposante d’un gros ouvrage Miroir du trichoptère (Fage Éditions) dont son auteur, qui en signe le texte d’introduction, souligne non sans humour que c’est un livre qui dit « presque tout sur presque rien ». Vanité des vanités…
 

Hubert Duprat,
initialement jusqu’au 10 janvier 2021, Musée d’art moderne de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75016 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°556 du 27 novembre 2020, avec le titre suivant : Toute l’œuvre étonnante d’Hubert Duprat

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