Côté France, les centres d’art ; côté Allemagne, les Kunstvereine. Une vingtaine d’entre eux ont monté une série d’expositions conjointes, jusqu’à fin 2011. Histoire de prendre la température curatoriale de chaque côté du Rhin.
Si l’on s’en tient à la stricte définition du terme, l’opération Thermostat, associant vingt-quatre centres d’art et Kunstvereine dans un projet curatorial commun, viserait moins à prendre une température qu’à la maintenir. Et pour cause. On sait le passif culturel de l’axe Paris-Berlin. Mais le temps des capitales artistiques et des ismes ayant largement fléchi, qu’en est-il aujourd’hui ?
Si Berlin reprend la main en accueillant une communauté grandissante de jeunes artistes français, la morosité ambiante et l’atomisation des scènes ont parfois mis à mal le chassé-croisé. Si connivence il y a, elle se fait bien plus sociologique qu’esthétique. Après la déception de l’opération institutionnelle Art France Berlin, Kunst aus Frankreich, en 2006, c’est le marché qui s’est retroussé les manches avec Berlin-Paris, un échange de galeries initié en 2009. En question : répondre à la crise, déplacer et créer de nouveaux réseaux de collectionneurs, valoriser des artistes à l’international et reprendre la main sur l’axe atlantique.
Des binômes pour cartographier les scènes émergentes
C’est un tout autre enjeu que soulève Thermostat. Pilotée cette fois depuis la France, étendue dans la durée, la manifestation veut muscler le maillage territorial et établir une véritable cartographie. Pas moins de trente expositions mettent l’accent sur des scènes émergentes, et comptent bien en retirer des bénéfices théoriques et esthétiques exemplaires. Enjeux artistiques, bien sûr, curatoriaux, sans nul doute, et publics, évidemment. Et les binômes franco-allemands de Thermostat ont manifestement pris plaisir à dégoupiller les notions mêmes de permutation et de partenariat.
À commencer par « Trust! », l’échange initié cet automne entre Marie Cozette (synagogue de Delme) et Silke Albrecht (Brandenburgischer Kunstverein Potsdam). Au menu : le syndrome du coucou ou du bernard-l’ermite. Autrement dit, quand l’un s’installe chez l’autre, ou quand l’un abandonne son autorité à l’autre, qu’advient-il ? Éléments de réponse avec Latifa Echakhch, David Hatcher ou Javier Téllez.
Pour le reste, c’est aussi avec le modèle d’exposition que jouent les participants, rappelant si besoin était que les lieux engagés sont d’abord tenus par des commissaires : exposition comme concert au CAC de Brétigny-sur-Orge, process matérialisé en deux temps par la rencontre préliminaire d’artistes dans un lieu (Bielefeld Kunstverein) en préparation à l’exposition dans un autre (Confort moderne à Poitiers) ou encore « Channel TV », un programme télévisé coproduit par le cneai = Chatou, le Kunstverein de Hambourg et la Halle für Kunst de Lunebourg.
Et si une poignée de binômes a joué la carte du simple commissariat croisé, comme le chassé-croisé Matti Braun/Évariste Richer à Noisy-le-Sec et Braunschweig, d’autres en ont profité pour faire de l’échange un enjeu méthodologique. C’est le cas de la remarquable « Mental Archaeology », tricotée comme une seule exposition ici et là-bas, variation tendue autour de la trace et de la mémoire pour trois expériences singulières de la forme. À l’affiche : Matti Braun et ses archivages subjectifs, la Géorgienne Thea Djordjadze et ses frêles structures en recherche d’équilibre, de souvenir et de pesanteur et une implacable collection de Jean-Luc Moulène en forme d’inventaire coriace de la civilisation. À l’image de ce Thermostat.
C’est presque un habitué du genre. En février dernier, lors de la seconde édition de l’opération Berlin-Paris, procédant là aussi à un échange franco-allemand, Nathalie Obadia avait reçu Matti Braun, relayé par la galerie berlinoise Esther Schipper. Au programme : mixages tendus de batiks traditionnels et design moderniste, et papillons épinglés comme autant de motifs sériels.
La découverte en France
Pour Thermostat, ce n’est pas un, mais deux binômes qui font appel à l’artiste allemand né en 1968 : Hilke Wagner (Kunstverein Braunschweig) lui déroule en décembre une monographie à La Galerie, à Noisy-le-Sec, et le duo Claire Le Restif/Kathleen Rahn l’intègre à l’exposition qui combine ses deux lieux. Une double exposition en forme d’heureux rattrapage, l’œuvre de Matti Braun étant depuis longtemps adoubée en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Au Crédac, à Ivry, l’artiste reprend place dans l’espace pentu de l’ancien cinéma, à l’endroit même où Claire Le Restif l’avait sollicité pour une précédente exposition. Un premier effet de stratification auquel l’artiste répond avec Ozürfa, vertige corsé de sédiments. À commencer par une causerie subtile entre vitrines, présentoirs scellés comme autant de caveaux/sculptures, recelant des reliques d’un genre disparate et historiquement fluctuant, en liens souterrains avec la ville mythique d’Urfa en Anatolie du Sud-Est : squelettes de poissons référant à la légende d’Abraham, lampes à huile produites en série et contrefaisant l’histoire ou bobine fétichisée et intimidante de Yol, la Palme d’or que le cinéaste Yılmaz Güney, d’origine kurde, réalisa depuis sa cellule en glissant les indications de tournage à son assistant.
Aux vitrines, Matti Braun ajoute encore sculptures et images, réseau de connexions politiques, digressions formelles, rapprochements arbitraires, fragments d’authentiques légendes, de vérités historiques subjectives et d’actualités contemporaines. Une archéologie tout en transferts et croisements ébouriffés, pour une lecture culturelle et verticale du monde.
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Thermostat franco-allemand
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : Thermostat franco-allemand