Théâtre de l’Œuvre : théâtre du symbolisme

En 1882, sur les bancs du lycée Condorcet à Paris – et alors que Mallarmé y enseigne – Maurice Denis, Ker-Xavier Roussel, Édouard Vuillard et Aurélien Lugné-Poe se fréquentent déjà. Quelque dix années plus tard, sous l’impulsion ardente du dernier – devenu acteur et metteur en scène – les anciens camarades se retrouvent pour accompagner les profondes mutations qui secouent l’art scénique en cette fin de siècle. Déjà engagés sur la voie du synthétisme nabi, Bonnard, Denis et surtout Vuillard – qui cofonde avec Lugné-Poe le Théâtre de l’Œuvre à Paris en 1893 – trouvent dans l’élaboration du décor et de la scénographie une réponse tangible à leur conception unitaire des arts. « Peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit », martelait Mallarmé. Ainsi le Théâtre de l’Œuvre devient-il le lieu de diffusion et de stimulation des prescriptions poétiques symbolistes, contrant fiévreusement un naturalisme encore vivace. On y monte, on y crée Jarry, Maeterlinck, Ibsen, Claudel, on y lit Mallarmé, Rimbaud et Verlaine, on y cherche des réponses scéniques expérimentales et épurées, susceptibles d’étayer des principes rejetant le réalisme illusionniste des décors, des costumes et du verbe, pour lui opposer une scénographie procédant par signes, fustigeant ce que Jarry qualifiait de « quelques objets notoirement horribles et incompréhensibles », à savoir, le décor et les acteurs. Le musée d’Orsay rend compte de ce creuset bouillonnant que fut le Théâtre de l’Œuvre mené par Lugné-Poe, et agrège en un parcours documenté, acteurs et disciplines du symbolisme qui jeta rien de moins que les bases précaires du théâtre moderne. (Cf. « Mallarmé en son réseau », p. 76-79.)