À la Fondation d’entreprise Ricard, la liberté des artistes est mise en rapport avec l’impalpable et l’immatériel, oubliant quelque peu la valeur commerciale reconnue des œuvres présentées.
PARIS - Deux étranges objets vidéographiques occupent les extrémités de l’espace de la Fondation d’entreprise Ricard, à Paris. En introduction, l’amateur éclairé reconnaîtra sur des images en noir et blanc Robert Smithson en personne lancé dans une conversation étonnante avec son épouse Nancy Holt, assise à ses côtés (East Coast, West Coast, 1969). Un dialogue d’artistes ? Nullement. Une pure fiction au contraire, dans laquelle Smithson « joue le rôle » d’un artiste californien un rien idéaliste qui expose ses idées à une supposée galeriste new-yorkaise tentant de le raisonner et de contrôler la fougue de ces désirs.
À l’autre bout du spectre, c’est à un étrange voyage que convie Samir Ramdani, dans son film projeté sur une structure en bois qui narre l’arrivée sur Terre d’une extraterrestre (Styx, 2016). L'héroïne y fait la connaissance d’un archéologue et prend conscience à son contact d’une relation possible à la pierre et à la terre, relation qui lui était jusque-là inconnue. Tout y est réalisé à peu de frais, les effets d’éclairage notamment, qui n’en engendrent pas moins une atmosphère captivante.
Sortir du cadre
Interroger la liberté dont jouissent ou se dotent les artistes dans leurs actes créatifs, c’est l’objet de l’exposition imaginée par la commissaire Alexandra Fau. « Fertile Lands » invite à se projeter dans des envies un peu folles, désirs sortis du cadre tout comme en étaient sortis les protagonistes du land art en 1969, soucieux de dynamiter les limites imposées. Des filiations ici rien moins qu’évidentes.
Dans ces productions, le caractère hors norme ne rime toutefois pas avec la démesure ou le spectaculaire, mais illustre une nécessité presque impérieuse de se confronter au territoire et aux éléments, même impalpables ou inaccessibles, ce en usant paradoxalement, à l’heure des superproductions, d’une économie réduite.
Il en est ainsi de Tacita Dean, partie en 1997 à la recherche de la mythique Spiral Jetty de Robert Smithson qu’elle ne trouvera jamais – et pour cause, l’œuvre étant alors complètement immergée. De son périple Dean a livré un document sonore qui rend compte de la quête mais aussi des doutes, dans un parcours où le périple en lui-même signifie autant que son aboutissement (Trying to Find the Spiral Jetty). Vincent Lamouroux flirte également avec l’impalpable en s’intéressant aux infimes zones de l’espace aérien de la métropole de Los Angeles qui restent encore libres et non légiférées ; il en dresse une cartographie matérialisée par une sculpture suspendue devenue un objet abstrait (Blank Spaces (Model for Airspaces), 2016).
Dans une remise en cause de l’appréhension du réel, formidables sont les photographies de Nicolas Floc’h, qui, depuis plusieurs années, explore les fonds marins à la recherche de « structures productives », des architectures englouties aux fins d’intensifier le développement de la flore et de la faune. Ces formes apparaissent autant comme des ruines que comme des sculptures dotées de vie (Structures productives, récits artificiels, 2011-2014).
Une ambiguïté, qui, au demeurant, n’est pas occultée, réside néanmoins dans cette proposition. Car dans la conversation inaugurale entre Robert Smithson et Nancy Holt était incidemment pointée la volonté de contrevenir aux règles du marché de l’art – ce que pouvait fort bien faire un artiste à l’époque représenté par Virginia Dwan. Cette riche héritière, affranchie de la nécessité de vendre des œuvres, finança sans barguigner nombre de projets de ses artistes. Or, à quelques exceptions près, la plupart des artistes de cette exposition sont eux installés dans le marché, très confortablement même pour certains. Surtout, pas une seule proposition ne se montre purement évanescente ou sur le point de disparaître. Seule Lara Almarcegui s’en approche, qui en Belgique est parvenue à obtenir une concession sur un vaste terrain afin de le soustraire à l’appétit des promoteurs (A Wasteland in Genk, 2004-2006). De quoi l’aider à conserver son caractère fertile.
Commissaire : Alexandra Fau
Nombre d’artistes : 12
Nombre d’œuvres : 27
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Territoires d’expérimentation
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 mars, Fondation d’entreprise Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, 75008 Paris, tél. 01 53 30 88 00, www.fondation-entreprise-ricard.com, tlj sauf dimanche et lundi 11h-19h, entrée libre. Alexandra Fau organise une projection de films, « Rêve de pierre », au Centre Pompidou, Cinéma 2, le 2 mars à 19 heures.
Légende photo
Vue de l'exposition « Fertile Lands », à la Fondation d'entreprise Ricard, avec les oeuvres de Cyprien Gaillard et Vincent Lamouroux. © Photo : Marc Domage/Fondation d'entreprise Ricard.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Territoires d’expérimentation