À l’heure où se multiplient centres d’art, toilettages de bâtiments et chantiers muséaux, les institutions naissantes ou à naître s’incarnent avant même le premier coup de pioche. Concours d’architectes, maquettes, étapes de construction, préfiguration, sites internet, expositions hors les murs, visites de chantier, tout est soumis ou à soumettre au public. Les institutions se faufilent dans une brèche entrouverte ces dix dernières années : l’irruption du projet dans la réalité même du bâtiment et de son programme, et la multiplication de ses conditions d’existence. Un appétit permis par la prolifération des chantiers, leur durée croissante et sans doute par une réflexion conséquente engagée sur le modèle d’exposition et son contexte, affaiblissement du white cube compris. La pratique de la programmation hors les murs s’est depuis longtemps déjà fixée dans les habitudes du public. Les grandes institutions, fortes d’un fonds trop copieux pour être pleinement dévoilé au public débordent régulièrement de leur cadre construit, pour s’installer le temps d’une exposition temporaire dans des espaces d’emprunt. Dans un même sillage, les musées en rénovation ou extension profitent de la mise en veille du bâtiment pour montrer encore et autrement un fonds parfois plus coûteux à stocker qu’à exposer, prolongeant par là la cohérence de la programmation. C’est le cas du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, provisoirement installé au couvent des Cordeliers. C’est encore celui du Magasin à Grenoble, abrité pour l’été au Mamco de Genève, du MoMA à New York devenu itinérant cette année. Même la célèbre et très casanière collection Phillips musarde quelques mois durant, le temps de se refaire une beauté à Washington et de toucher de nouveaux publics. Mais la tendance récente consiste surtout à se saisir du chantier, de son temps de latence, à le rendre visible et éloquent en tant que tel ou en tant que signe renvoyant à l’institution muséale. Le futur musée d’Art contemporain du Val-de-Marne à Vitry, promis au public fin 2005 s’était ainsi doté cette année d’un espace d’exposition provisoire, affichant sa précarité pour révéler quelques pièces nouvellement acquises tout en maintenant vivante la situation de chantier. Des (longs) travaux que le musée a mis en scène, lorgnant du côté de l’hypothèse esthétique, proposant visites au public et témoignages photographiques susceptibles de convertir ou d’inscrire l’attente. Le cube préfabriqué laissera place cet automne à quelques ingérences programmées de la part des artistes au cœur même du site à Vitry. Dans le même ton, le Magasin à Grenoble préserve symboliquement la continuité de sa programmation par une installation de Mark Handforth, Rising Sun, posée dans le temps et l’espace de la rénovation. Un travail sur la délocalisation, le contexte et le point de vue, parfaitement conjugué à la future appréhension des lieux. Autre zone intermédiaire, autre support convoqué comme autant d’accompagnement à la mutation : le site internet, assurant un relais effectif et informatif aux régénérations en cours. Le Magasin a ainsi lancé un site web flambant neuf, signé Claude Closky. Le support libéré des contraintes du réel soumet chaque semaine une nouvelle œuvre, ponctuant les étapes jusqu’à réouverture en 2005. Closky, décidément indispensable, s’est également vu offrir la charge du site du Mudam au Luxembourg. Un chantier luxueux mené par I.M. Pei, qui se risque le temps des travaux et de la préfiguration – et c’est sans doute l’expérience la plus efficiente du genre – à une véritable existence, animée par Marie-Claude Beaud (cf. L’Œil n° 559). Sous le label de Be the artist’s guest, le futur musée, encore privé d’écrin, multiplie les occasions d’exposition, de coproductions et de partenariat, et fragmente énergiquement sa collection en cours de constitution. Une collection d’art contemporain elle-même guidée et traversée par la notion de pénurie et qui distille dans les lieux les plus improbables comme les plus institutionnels parcours monographiques, expériences éditoriales ou toute autre extension susceptible de faire vivre la structure nomade : pavillon à la Biennale de Venise en 2001, galerie prêtée par la banque du Luxembourg comme « camp de base », magazine et œuvres originales en ligne, productions montrées dans différentes institutions, comptes-rendus de chantiers, etc. Un activisme enthousiaste et débordant qui construit au fil des mois une vitrine permettant au Mudam de s’ouvrir au public fin 2006, en vieil ami. À la multiplication des chantiers répondent finalement des solutions renouvelées, offrant aux fermetures ou pénuries de bâtiments des objections inédites, petit à petit doublées d’une réflexion sur le contexte d’exposition, et pourquoi pas sur cette temporalité en creux, disponible mais désœuvrée. Sous le titre d’« Expat-art Centre », le jeune commissaire Mathieu Copeland s’est ainsi penché sur l’occupation possible de ce contretemps et non-espace, en proposant un modèle d’exposition capable de s’infiltrer dans un temps traditionnellement refusé au public. Celui de l’entre-deux, de la pause ou des travaux. Une proposition « générique » déjà activée ce printemps au musée d’Art contemporain de Lyon avec Didier Marcel, Pierre Huyghe, Claude Levêque et quelques autres, et enclenchée par les moments de désengagement de l’institution. Une manière d’énoncer une réflexion plus qu’une exposition, appelée à se glisser dans les trêves du calendrier et à se nourrir d’un temps vacant. À suivre...
- Mudam, LUXEMBOURG, 10 av. Guillaume, ouverture prévue fin 2006, www.mudam.lu. « Audiolabs », camp de base, banque de Luxembourg, Kirchberg, 41 av. Kennedy, jusqu’au 12 septembre ; « Mudam nomade Pipilotti Rist, Stir Heart, Rinse Heart », SFMoma, SAN FRANCISCO (É.-U.) jusqu’au 12 septembre. - Le Magasin, GRENOBLE (38), 155 cours Berriat, réouverture prévue fin 2005, www.magasin-cnac.org. « Aimer, travailler, exister : propositions communautaires dans l’après-1968, et Projet de la session 13 : “Royal Wedding”? », Mamco, GENÈVE (Suisse), 10 rue des Vieux-Grenadiers, jusqu’au 12 septembre ; « Marc Handforth, Rising Sun, 2003 », installation dans la rue du Magasin, cours Berriat. - Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, VITRY-SUR-MARNE (94), 18 av. Eugène Pelletan, tél. 01 43 91 64 20, ouverture prévue fin 2005, reprise des programmations durant le chantier en octobre 2004. « Expat-art Centre », sur une proposition de Mathieu Copeland, prochainement au centre d’art contemporain de VILNIUS (Lituanie) et au Museum Sztuki de LODZ (Pologne).
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Temps de latences
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : Temps de latences