Génie littéraire universel, Victor Hugo est aussi l’auteur de nombreux dessins ; des paysages abandonnés ou chaotiques, correspondant à la période romantique, mais également d’étranges compositions non-figuratives. Après le Musée Thyssen-Bornemiza, à Madrid, quelque 200 œuvres graphiques du poète ont rejoint la maison où il vécut, place des Vosges, qui lui est aujourd’hui entièrement consacrée.
PARIS - Autodidacte, improvisant ses matières (encre brune ou noire, fusain, lavis, gouache) et ses techniques (plume, pinceau, pliage, collage, tache, coulure, pochoir, empreinte), Victor Hugo semble avoir voulu fixer des états d’âme en des paysages imaginaires et tourmentés où domine l’obscurité. En témoigne la série accueillant les visiteurs. Ville au bord d’un lac (1850), Maison isolée sous l’orage (1855-1856) ou Le Burg au clair de lune (1857) sont autant de visions apocalyptiques marquées par l’absence flagrante de lumière, une végétation balayée par les inondations, et d’où subsistent seulement des forteresses laissées à l’abandon. Cet univers de désolation est à son comble dans les marines, regroupées dans une petite salle et qui se font écho les unes aux autres. De son exil à Jersey puis à Guernesey sont nés ces tempêtes et naufrages (Gros Temps-La Durande, Dans la Brume, 1864-1865), toujours sombres, parfois d’un noir profond rehaussé de gouache blanche pour traduire l’écume et la force du vent, et sur lesquelles plane une profonde mélancolie. “J’habite dans cet immense rêve de l’Océan, je deviens peu à peu un somnambule de la mer, et, devant tous ces prodigieux spectacles et toute cette énorme pensée vivante où je m’abîme, je finis par ne plus être qu’une espèce de témoin de Dieu”, écrivait-il en 1856. Avec des œuvres comme Mât dans la tempête (1856) et La Bourrasque (1865), Hugo perturbe la cohésion spatiale à l’aide de structures insolites, nous plongeant violemment dans un monde abyssal. Seule figure humaine sortant du brouillard, le pendu d’ECCE fut réalisé en 1854 à l’occasion de l’affaire Tapner, criminel condamné à mort pour lequel Hugo en appelait à la clémence.
Des dessins “un peu sauvages”
À côté de ces visions ténébreuses figurent des créations quasi abstraites, telles Taches-Planètes (1850), étonnant lavis aux effets nuageux ou Composition abstraite (1855), dans laquelle deux astres obtenus par découpages, l’un clair, l’autre sombre, semblent se répondre. Débarrassé des éléments figuratifs, Hugo expérimente l’informe, comme s’il s’adressait directement à notre inconscient. Ses Taches (1875), à l’encre étalée de façon à créer des rayons de lumière, peuvent être lues dans plusieurs sens. Il en résulte une multitude d’interprétations. “Mes dessins sont un peu sauvages”, écrivait-il à Baudelaire. C’est peut-être ce qui “le propulse dans l’actualité artistique de notre époque”, explique Jean-Jacques Lebel, commissaire de l’exposition, qui a rapproché les techniques de Victor Hugo aux procédés surréalistes. Le parcours s’achève sur ces créations informelles, afin d’inscrire l’œuvre plastique de Victor Hugo dans la perspective d’une profonde modernité. L’artiste, quant à lui, demeurait plus modeste. N’ayant jamais exposé de son vivant, il considérait ses dessins comme “jetés maladroitement sur le papier par un bonhomme qui a tout autre chose à faire”.
- DU CHAOS DANS LE PINCEAU…, jusqu’au 7 janvier, Maison de Victor Hugo, 6 place des Vosges, 75004 Paris, tél. 01 42 72 10 16, tlj sauf lundi et jours fériés, 10h-17h40, catalogue 216 p., 240 F.
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Tempête sous un crâne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°116 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Tempête sous un crâne