Après avoir achevé la restauration des fresques de la basilique d’Assise, le restaurateur Bruno Zanardi vient d’en publier une étude approfondie, intitulée Le chantier de Giotto. Les histoires de saint François à Assise. Déjà, en 1978, il évoquait les problèmes complexes de la transmission de l’héritage de Giotto, dans De Stefano Fiorentino à Puccio Capanna. Ce nouvel ouvrage marque une étape dans notre connaissance de l’organisation des chantiers de peintures à fresque et sur l’utilisation des mystérieux \"patroni\", les modèles à partir desquels elles étaient éxécutées.
Vous affirmez que dans la basilique supérieure d’Assise, les fresques de la Vie d’Isaac, attribuées à un peintre romain, sont de la même main que les scènes de la Vie de saint François, peintes au-dessous par Giotto.
Bruno Zanardi : Il paraît indubitable qu’il existe une identité de technique et d’exécution entre les scènes de la Vie d’Isaac et les sept premières scènes de la Vie de saint François, à commencer par l’utilisation des mêmes modèles pour le dessin des têtes. Cependant, mon livre prend avant tout ces scènes comme exemple d’organisation des chantiers pour la peinture à fresque au Moyen Âge, même s’il est vrai qu’on y trouve aussi de nombreuses observations qui inciteront sans doute les historiens de l’art à réfléchir aux problèmes d’attribution.
Les précisions que vous apportez à propos de l’organisation du travail sur les chantiers de peintures sont d’une grande importance : quelles sont vos conclusions ?
Le commanditaire de l’artiste exigeait une grande clarté de lecture des images, et donc une homogénéité formelle, ainsi qu’une livraison dans les meilleurs délais. Comme ces commandes concernaient des œuvres de grandes dimensions – cycles de fresques, polyptiques, etc –, il était impossible pour un peintre seul de satisfaire à de telles exigences. Comment répartir le travail afin que plusieurs artistes puissent travailler ensemble sans que l’on relève de trop grandes différences de technique ou de style entre leurs interventions respectives ? Avant tout, en utilisant un unique dessin de base, c’est-à-dire un "patron". Ensuite, en exigeant que les bases des coloris – par exemple, les sous-couches d’un incarnat – soient appliquées selon un ordre précis. Les couleurs étaient préparées dans des petits pots vitrifiés ; ainsi, pour chaque teinte, les nuances étaient les mêmes pour tous les peintres. C’est cela, entre autres, que le Florentin Cennino Cennini, qui a reçu l’enseignement des derniers disciples de Giotto, est un des premiers à avoir codifié, à la fin du XIVe siècle.
Le concours unanime des ouvriers, qui harmonisent leur exécution en fonction de celle de la personnalité la plus forte, existe donc en peinture comme en architecture médiévale ?
Je crois que dans la logique médiévale, le plus grand peintre était celui qui réussissait à organiser son atelier et ses chantiers de manière à produire la qualité artistique standard la plus élevée dans un travail qui était nécessairement assuré par plusieurs mains. C’était le cas en peinture, mais également en sculpture, ainsi que le montrent les importants secteurs inachevés des bas-reliefs de la cathédrale d’Orvieto entrepris au début du XIVe siècle, à la restauration desquels j’ai participé. Une division rigide du travail par spécialisations était imposée sur le chantier. Sur certains reliefs, les personnages et leurs vêtements sont parfaitement finis, mais pas le paysage qui les entoure. Sur d’autres, les chevelures sont sculptées avec le plus grand soin, tandis que les visages demeurent à l’état d’ébauche. Alors, qui est vraiment l’auteur de ce chef-d’œuvre ? Le spécialiste des visages ? Celui des cheveux ? Celui des vêtements ? Celui du paysage ? Ou bien celui qui a réparti le travail entre tous ces hommes ?
Vous faites allusion aux modèles en carton, souvent apprêtés à la cire, que vous avez identifiés comme correspondant aux "patroni", plusieurs fois mentionnés dans les documents et qui étaient demeurés mystérieux jusqu’ici. Vous en proposez même une reconstitution à l’aide de cartes translucides.
Ce n’est pas moi qui les ai découverts le premier. Le mérite en revient à Mara Nimmo et à Carla Olivetti, qui ont compris que les dessins d’un cycle de fresques donné avaient été réalisés à partir d’une silhouette en carton, utilisée à plusieurs reprises. Je l’ai toutefois constaté sur les fresques du baptistère de Parme et du Saint des Saints de Saint-Jean-de-Latran à Rome, dont j’ai assuré la restauration. J’ai alors relu de nombreux textes qui évoquaient les chantiers de fresques médiévaux. Et très souvent, j’y ai vu figurer – comme beaucoup d’autres chercheurs – le terme latin de "patronus", qui s’appliquait sans aucun doute à un modèle en carton.
Il Cantiere di Giotto. Le Storie di San Francisco ad Assisi (Le chantier de Giotto. Les histoires de saint François à Assise), Bruno Zanardi, Milan, 413 p., 250 000 lires, 850 F
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Taylorisme médiéval
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°31 du 1 décembre 1996, avec le titre suivant : Taylorisme médiéval