À Paris, « Maquis », l’actuelle exposition du Plateau, réunit cinq artistes sous les vastes thématiques du temps, de l’espace et du territoire. Julije Knifer, Yvan Salomone, Fiorenza Menini, Paola Yacoub et Michel Lasserre participent à cette manifestation avant tout marquée par la présentation d’une des dernières pièces de Gary Hill.
PARIS - Faudrait-il conférer une signification métaphorique aux méandres tracés par Julije Knifer depuis une quarantaine d’années ? Ancrée dans l’histoire de l’abstraction, l’œuvre de l’artiste dessine à travers ce motif un rythme qui fleure bon l’abstraction géométrique la plus littérale. Pourtant, la peinture murale noire et blanche qu’il a réalisée dans la première salle du Plateau prend des allures de démonstration quant au propos général de l’exposition et à sa réflexion sur le temps de l’image et de sa vision. Intitulée “Maquis”, la manifestation prend aussi une connotation clandestine et résistante bienveillante. Elle ne camoufle d’ailleurs pas son propos politique, notamment à travers les diaporamas de Paola Yacoub et Michel Lasserre. Engagé dans une topographie photographique de la frontière entre Israël et le Liban, le duo s’attache au paysage comme élément d’expression du conflit. Écorchées par des textes adjoints, leurs images distantes et antispectaculaires dégagent des traces de violence, de danger et parfois d’histoire. Plus qu’à un héroïque Chant des Partisans, c’est en fait à une végétation de l’entre-deux, à un seuil brouillé et chargé que se réfère le titre de “Maquis”. Il est aussi largement question de paysage dans les grands formats accrochés en série par Yvan Salomone. Creusant un peu plus le sillon déjà large d’une esthétique de la friche, ce dernier s’attache à des terrains industriels sans réels autres attributs que ceux de lieux de transport, de stockage et de passage ; des zones franches dont la faillite est encore renforcée par la déliquescence de l’aquarelle employée pour les dépeindre.
Dans des performances où interviennent des corps et des rôles comme autant de balises flottantes, ou dans l’expérience un peu vaine d’une projection qui se dissout dans un ralentissement frôlant l’immobilité (Crossing Fade), Fiorenza Menini suggère, elle, des épaisseurs physiques et temporelles multiples. Le sujet trouve un écho tout autre chez Gary Hill. Souvent absorbée par la question de la perception et de la description, l’œuvre de l’Américain a su à de multiples reprises s’enrichir du sentiment et de la présence d’un autre. Composé de cinq projections simultanées, Accordions (The Belsunce Recordings, July 2001), l’environnement qu’il a disposé au Plateau, rejoint en cela son désormais classique Viewer (1996), une installation dans laquelle une série de personnages en pied fait face au spectateur. Mais, à la fixité abrupte de Viewer, Accordions substitue des effets de dilatation et de raccourci : zoom avant ou arrière en phase avec des interruptions plus ou moins rapides de l’image et du son. Saisis à la volée sur le cours Belsunce de Marseille (où l’œuvre avait été présentée l’été dernier par l’association La compagnie dans une disposition moins concentrée) ou filmés devant le fond noir d’un studio, les visages d’enfants, d’hommes, de femmes et de vieillards font feu commun dans un rythme stroboscopique. Parfois, la caméra laisse voir l’environnement, délimite le quartier, s’enfonce à travers la porte d’Aix, mais revient toujours à la figure.
Frustrant dans ce déni quasi complet d’un environnement photogénique, agaçant par la froideur implacable de son dispositif, Accordions produit un scintillement pourtant bien humain.
- MAQUIS, jusqu’au 24 novembre, Le Plateau, angle de la rue des Alouettes et de la rue Carducci, 75019 Paris, tél. 01 53 19 84 10, 14h-19h du mercredi au vendredi, 11h-19h les samedi et dimanche.
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Tapis dans la lisière entre l’espace et le temps
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Tapis dans la lisière entre l’espace et le temps