Singulière, toujours considérée un peu à part, l’œuvre de Tanguy relève d’une démarche bien plus métaphysique qu’onirique qui échappe à l’analyse formatée propre à la production surréaliste.
Il est des rencontres qui déterminent toute une vie. Celle que fit Yves Tanguy avec André Breton en 1925 agit sur lui comme une révélation. Il adhéra d’emblée aux principes énoncés par le poète accordant à l’inconscient et au rêve une place primordiale.
Pendant plus de vingt ans, une indéfectible amitié les unit jusqu’au moment où Tanguy s’exile aux États-Unis. En 1946, alors même qu’il commence à prendre ses distances avec Breton qui lui reproche son embourgeoisement, le poète signe la première monographie du peintre. Deux ans plus tard, Tanguy prend la nationalité américaine et s’isole de plus en plus ; en 1949, la rupture avec Breton est consommée.
Béni par André Breton
Curieusement, bien qu’il ait participé à l’aventure du groupe, la plupart des historiens du surréalisme « ne s’attardent guère » sur Yves Tanguy, comme le relève justement André Cariou, commissaire de l’exposition du musée de Quimper. Ils minorent ses engagements « comme s’ils apparaissaient à leurs yeux incompatibles avec l’isolement de sa recherche de peintre ».
Aussi peut-on s’interroger sur sa place au sein du mouvement et se demander au bout du compte si Tanguy est un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou pas… vraiment surréaliste.
Vu l’intérêt d’André Breton pour l’artiste dès ses premiers pas, la question semble hors de propos. Dans la préface qu’il rédige en 1927 à l’occasion de la première exposition personnelle de Tanguy à la Galerie Surréaliste, Breton se plaît en effet à relever que « ceux qui dans ces toiles distingueront ici ou là une espèce d’animal, un semblant d’arbuste, quelque chose comme de la fumée, continueront à se faire plus forts qu’ils ne sont à placer tous leurs espoirs dans ce qu’ils appellent la réalité. » On ne peut mieux dire pour adouber l’artiste !
Par la suite, l’écrivain ne manquera jamais de signifier l’évidente inscription de Tanguy au groupe. Ainsi, en 1934, à la question « Qu’est-ce que le surréalisme ? », il répond : « C’est l’apparition d’Yves Tanguy coiffé du paradisier grand émeraude. » Un peu plus tard, soulignant les origines bretonnes de ce dernier, il le qualifie de « Guide du temps des druides du gui ». Enfin il saluera en lui « le peintre des épouvantables élégances aériennes, souterraines et maritimes, l’homme en qui je vois la parure morale de ce temps ».
André Breton a une façon de parler de celui qu’il appelle « mon adorable ami » qui vante toujours tant les qualités du peintre que celles de l’homme. « Si […] l’étoile de Tanguy s’élève toujours davantage, écrit-il encore en 1939, c’est qu’il est idéalement intègre et intact, qu’il échappe par sa nature à toute compromission. La peinture de Tanguy n’a guère encore livré que son charme : elle livrera plus tard son secret. » On ne peut être plus élogieux.
Explorer l’inconnu
André Cariou, le commissaire quimpérois, a donc bien raison de s’étonner de l’absence de tout texte du poète sur Tanguy dans le catalogue de l’exposition « André Breton, la beauté convulsive », organisée au Musée national d’art moderne en 1991. L’œuvre du peintre n’aurait-t-elle jamais livré son secret ou Breton n’aurait-il jamais réussi à le percer ? Il y a, c’est certain, un vrai mystère Tanguy et celui-ci ne s’est jamais vraiment appliqué à le lever. « Si je devais chercher les raisons de ma peinture, disait-il, ce serait un peu comme si je m’emprisonnais moi-même. » Voilà qui n’est pas fait pour aider ses exégètes !
Qu’est-ce qui fait donc la spécificité de la démarche du peintre ? Féru de tous ces jeux collectifs que Breton recommandait à ses troupes, cadavres exquis en tête, Tanguy n’était en fait animé que par une seule intention : défricher toujours plus avant les terres de l’inconnu. Parce que seul l’inconnu l’assurait de la possibilité d’une liberté. « Le tableau se développe sous mes yeux, déployant ses surprises au fur et à mesure qu’il s’élabore. C’est cela qui me donne le sens de la liberté totale », proclamait-il dès 1927.
L’illusion métaphysique ?
Au nom de cette liberté, l’artiste revendiquait le fait de ne pas réfléchir, mais seulement de peindre, et c’est en son nom encore qu’il déclarait posséder « une seule invention à moi tout seul : j’ai supprimé la ligne qui sépare l’eau du ciel ». Yves Tanguy eût été un peu plus attentif aux écrits de ses aînés, il aurait trouvé sous la plume de Malevitch ces sublimes paroles : « J’ai vaincu la doublure bleue du ciel, je l’ai arrachée, j’ai placé la couleur à l’intérieur de la poche ainsi formée et j’ai fait un nœud. Voguez ! Devant nous s’étend l’abîme blanc et libre. Devant nous s’étend l’infini. »
Tanguy et Malevitch même démarche, qui l’eût imaginé ? Et pourtant il y va bien chez l’un comme chez l’autre d’une aventure de création qui relève d’une même « illusion métaphysique », comme l’a écrit Olivier Berggruen à propos du premier.
L’indicible et l’insaisissable gouvernent la peinture de Tanguy. Son art n’offre aucune prise possible autre que poétique, il échappe à toute analyse formatée propre à celle qu’appelle ordinairement une œuvre surréaliste. C’est à peine si l’espace onirique y trouve son compte car il y va de quelque chose
de proprement innommable. On peut comprendre que cela fascinait Breton, on peut aussi comprendre que cela lui échappait.
1900 Naissance d’Yves Tanguy à Paris, de parents d’origine bretonne. 1912 Premières vacances à Locronan, village du Finistère. 1918 Entre dans la marine marchande. En 1920, son service militaire lui permet de rencontrer Jacques Prévert. 1925 Après la découverte d’un tableau de Chirico, son intérêt pour le surréalisme prend une dimension concrète. Il peint ses premières huiles et se lie d’amitié avec André Breton. 1939 Départ pour New York. Mariage avec le peintre Kay Sage. Début d’une collaboration fructueuse avec le galeriste Pierre Matisse, son ami d’enfance. 1948 Obtient la nationalité américaine. 1955 Le peintre meurt d’une hémorragie cérébrale, dans sa ferme de Woodbury.
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Tanguy aux marges de la peinture surréaliste ?
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques « Yves Tanguy, l’univers surréaliste », jusqu’au 30 septembre 2007. Commissariat : André Cariou. Musée des Beaux-Arts de Quimper, 40, place Saint-Corentin, Quimper (29). Ouvert tous les jours de 10 h à 19 h. Tarifs : 6 € et 3 €, tél. 02 98 95 45 20.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°593 du 1 juillet 2007, avec le titre suivant : Tanguy aux marges de la peinture surréaliste ?